Le mirage de l’aquaculture ; Bihouix

Le poisson est en voie d’épuisement et partout les stocks sont victimes de surpêche. Comme pour les rendements dans l’énergie, il y a un indicateur qui ne trompe pas : c’est la chute du CPUE, le catch per unit effort, qui indique que l’on utilise des bateaux toujours plus puissants, plus gros, plus équipés de hautes technologies (voir par exemple l’équipement sonar des thoniers-senneurs pour détecter et identifier les bancs), que l’on pêche toujours plus profond (on retrouve dans nos assiettes des poissons d’eaux profondes qui peuvent avoir jusqu’à 130 ans d’âge), sans pour autant augmenter la quantité de prise mondiale. Elle est au contraire en stagnation ou légère baisse, à 95 millions de tonnes par an.

Heureusement, disent les optimistes béats, l’aquaculture se développe ! Elle serait la réponse à la pénurie de poisson et à l’effondrement des pêcheries dans le monde entier. Mais il y a un hic : nous mangeons des poissons plutôt carnivores, même des superprédateurs des océans, des bars, des thons, des espadons, des ailerons de requins, de «niveau trophique» 4 ou plus. Il faut donc 3 à 4 kg de poisson sauvage pour faire 1 kg de poisson d’élevage comme le saumon ou la daurade ! Et 20 % des prises mondiales, joliment dénommées «poissons fourrage», comme les anchois péruviens, sont déjà consacrées à l’aquaculture… Il n’y a donc pas de miracle à attendre de ce côté-là (sauf en passant à des poissons végétariens, ce que font les Chinois avec leur important élevage de carpes) et il faudra faire «maigre».

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 188-189

Toilette sèche vs système moderne ; Bihouix

Un dernier mot cependant à ceux que les toilettes sèches dégoûteraient : on n’a pas tant que cela évolué par rapport au moyen âge dans notre système de gestion des eaux. On capte de l’eau potable dans les fleuves (en partie au moins, et le reste dans les nappes phréatiques) et on y rejette les eaux usées. La différence est qu’il y a maintenant un traitement après captage et avant rejet. Mais l’aval des uns étant l’amont des autres, à moins d’habiter à la montagne, on boit littéralement les eaux usées des camarades qui habitent en amont. On évite donc les dérangements intestinaux grâce au Chlore, essentiellement. Est-ce tellement plus ragoûtant que des toilettes sèches à la sciure ? Et n’en profitez pas pour vous précipiter sur l’eau en bouteille !

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 187

Les fausses promesses des OGM ; Bihouix

À entendre leurs laudateurs, souvent bien rémunérés, les plantes génétiquement modifiées seraient la solution pour nourrir la planète affamée tout en réduisant l’impact environnemental. Elles seraient même incontournables pour faire face au défi qui nous attend, à savoir augmenter la production d’un facteur 1.5 à 2 ou plus, en fonction des trois paramètres population/régime alimentaire/niveau de consommation. Ainsi, elles réduiraient l’utilisation de pesticides (en produisant leurs propres molécules de lutte contre les maladies ou les parasites), augmenteraient les rendements, permettraient d’exploiter des terres agricoles plus pauvres, ou plus arides, délaissées aujourd’hui, et même pourraient améliorer les capacités nutritionnelles des plantes.

Diantre ! Examinons de plus près ces promesses. Passons rapidement sur le riz doré riche en vitamine A, mais dont il faudrait absorber plusieurs kilogrammes par jour pour obtenir la dose recommandée. Quelles sont les cultures actuelles d’OGM dans le monde ? (voir figure ci-dessous)

Il s’agit exclusivement de différentes variétés de soja, maïs, coton et colza, qui sont résistante à l’épandage d’herbicides (les fameux Roundup ready de Monsanto), soit possèdent le gène Bt qui leur permet de synthétiser leur propre insecticide, soit combiner les deux caractéristiques.

Sans doute le gène Bt permet-il de réduire l’utilisation d’insecticides, mais sûrement pas de les supprimer. Le coton est ainsi une culture très fragile nécessitant au moins douze traitements par an pour lutter contre les larves de lépidoptères. Le coton Bt permet de réduire ces traitements de 20 à 30 % au mieux. Quant aux variétés tolérantes aux herbicides, elles sont, par définition, faites pour utiliser les herbicides systémiques à grandes échelles, et on constate, dans les pays qui ont adopté les cultures OGM, une augmentation de l’utilisation des herbicides, qui pourrait s’aggraver encore avec l’apparition de mauvaises herbes résistantes au Roundup.

Enfin, les OGM n’augmentent pas les rendements à l’hectare. Tout au plus peuvent-ils améliorer la productivité (en travail humain) en réduisant le nombre de passages pour traiter, donc le nombre d’heure de travail à consacrer à une surface de culture donnée. Et peut-être un rendement meilleur qu’une surface non traitée qui subirait des pertes de récolte, mais pas parce que «ça pousse mieux». Quant aux variétés OGM qui pourraient pousser dans les zones arides, aucune n’a fait ses preuves à ce jour, alors que ces caractéristiques (résistance à la sécheresse ou aux inondations, adaptation aux climats locaux, résistance à certains ravageurs…) existent souvent déjà dans les très nombreuses variétés traditionnelles non OGM.

Les OGM ne sont donc pas une réponse aux problèmes d’une planète affamée, mais une technique – bien hasardeuse, compte tenu des risques potentiels identifiés – pour produire la même quantité, ou peut s’en faut, mais avec moins de monde, en remplaçant du travail humain par des machines et des productions de produits chimiques difficilement biodégradables.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 176-179

Aucune population ne peut croître indéfiniment; Diamond

Certaines populations animales se sont elles-mêmes condamnées à l’extinction en détruisant totalement leur ressources. Vingt-neuf rennes ont été introduits en 1944 sur l’île de Saint Matthew dans la mer de Béring. Ils s’y sont multipliés jusqu’à ce qu’en 1963 leurs descendants atteignent le nombre de 6000. Mais ces animaux se nourrissent de lichens à croissance lente. Sur l’île de Saint-Matthew, la population de ce végétal n’a pas eu la possibilité de se régénérer, à la suite du broutage des rennes, car il était impossible à ce dernier de migrer. Lorsque survint en 1963-1964 un hiver particulièrement rude, tous les animaux moururent à l’exception de 41 femelles et d’un mâle stérile : cette population était donc condamnée à s’éteindre à plus ou moins brève échéance, sur cette île jonchée de squelettes. Un exemple similaire s’est produit avec l’introduction du Lapin dans l’île de Lisianski, à l’ouest de Hawaï, dans la première décennie de ce siècle. En moins de dix ans, ces rongeurs se sont condamnés à l’extinction, dans la mesure où ils ont consommé toutes les plantes de l’île, à l’exception de deux pieds de volubilis et d’une planche de pied de tabac.

Ces exemples de suicide écologique, ainsi que d’autres similaires, ont donc porté sur des populations qui ont soudainement été libérées des facteurs habituels régulant leurs effectifs. Les lapins et les rennes sont normalement la proie de prédateurs, et de plus, les rennes se servent sur les continents de la migration comme d’un régulateur qui les faitr quitter une région, de sorte que celle-ci peut régénérer sa végétation. Mais les îles de Saint Matthew et de Lisianski n’avaient pas de prédateurs, et la migration y était impossible, de sorte que les rennes, de même que les lapins, se nourrissent et se reproduisent sans que rien ne viennent les freiner.

Or, à l’évidence, l’espèce humaine entière s’est elle aussi, récemment affranchie des anciens facteurs limitant ses effectifs. Nous ne sommes plus soumis aux prédateurs depuis longtemps : le médecine du XXème siècle a considérablement la mortalité due aux maladies infectieuses ; et certaines des pratiques majeures de limitation de la démographie, comme l’infanticide, la guerre chronique et l’abstinence sexuelle, sont devenues socialement inacceptables. La population humaine mondiale double à peu près tout les 35 ans. Certes, cela ne représente pas une vitesse d’accroissement démographique aussi élevée que celle du renne à Saint-Matthew. L’île Terre est plus grande que l’île de la mer de Béring, et certaines de nos ressources sont plus renouvelables que les lichens (mais ce n’est pas le cas de toutes, comme le pétrole notamment). Toutefois, l’enseignement fourni par le cas du renne à Saint-Matthew reste à prendre en considération : aucune population ne peut croître indéfiniment.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 545-547

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Le meurtre, spécificité Humaines ? ; Diamond

Chez les espèces sociales, les meurtres n’impliquent nécessairement que des individus. Mais, chez les espèces sociales de carnivores, comme les lions, les hyènes et les fourmis, les meurtres peuvent prendre la forme d’attaques coordonnées, menées par les membres d’une troupe à l’encontre d’une troupe voisine : il s’agit, autrement dit, de meurtres de masse ou de «guerres». La forme de ces dernières varie d’une espèce à l’autre. Les mâles peuvent épargner les femelles de la troupe voisine et s’accoupler avec elles, tuer les nouveaux-nés et chasser les mâles (cas des singes entelles) ou bien les tuer (cas des lions) ; chez d’autres espèces, les mâles et les femelles sont tués (cas des loups). Hans Kruuk a décrit une bataille entre deux clans d’hyènes dans le cratère du Ngorongoro en Tanzanie : une douzaine d’hyènes environ, appartenant au clan de Scratching Rock, se saisirent d’un mâle du clan de Mungi et lui infligèrent toutes sortes de morsures, particulièrement au ventre, aux pattes et aux oreilles. Ses assaillants le lacérèrent pendant dix minutes environ. Le mâle fut littéralement mis en pièces, et lorsque Hans Kruuk put étudier de plus près ses blessures, il constata qu’il avait été amputé de ses oreilles, de ses testicules et du bout de ses pattes ; de plus, une lésion de la moelle épinière l’avait paralysé, et il présentait de profondes entailles au niveau train arrière et du ventre, et des hémorragies sous-cutanées sur tout le corps.

Pour comprendre l’origine de nos pratiques génocidaires, l’examen du comportement de deux de nos plus proches apparentés, le gorille et le chimpanzé commun, peut-il être éclairant ? N’importe quel biologiste aurait pensé, il n’y a guère, que notre capacité de commettre des meurtres dépassait de loin tout ce que pouvaient perpétrer les grands singes dans ce domaine, dans la mesure où nous semblions seuls capables de manier des outils et de mener des actions de groupe concertées (on inclinait alors même à croire que le meurtre n’existait pas du tout chez nos plus proches apparentés). Les recherches récentes sur les grands singes suggèrent, cependant, que tout gorille ou tout chimpanzé commun court à peu près le même risque de mourir assassiné par ses congénères que l’individu humain moyen. Chez le gorille, par exemple, les mâles se battent pour s’emparer des harems de femelles, et le vainqueur est susceptible de tuer le dépossédé ainsi que ses nouveaux-nés que ce dernier a engendrés. Ce genre de combat est l’une des grandes causes de mortalité chez le mâles adultes et chez les nouveaux-nés dans cette espèce. En moyenne, une femelle gorille perd, au cours de sa vie, au moins un bébé en raison des infanticides pratiqués par le mâles. Réciproquement, 38 pour cent des morts de bébés gorilles sont dues à des infanticides.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 510-511

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Propagation de l'agriculture; Diamond

Si, avec l’avènement de l’agriculture, l’élite a bénéficié de meilleures conditions de santé, mais que le sort du plus grand nombre s’est déterioré, comment expliquer que la révolution agricole ait été adoptée ?

C’est que l’agriculture pouvait fournir des moyens de subsistance à un plus grand nombre de personnes que la chasse et la cueillette, indépendamment de savoir si elle fournissait en moyenne plus de nourriture à chaque individu. La densité des chasseurs-cueilleurs est typiquement de une ou de moins d’une personne par mile1 carré, tandis qu’elle est en moyenne au moins dix fois plus élevée chez les populations d’agriculteurs. La raison en est, en partie, qu’un hectare de terre cultivée entièrement en plantes comestibles produit bien plus de quintaux de nourriture, et donc permet de nourrir bien plus de bouches, qu’un hectare de forêt parsemé de plantes sauvages comestibles. Une autre raison est aussi, en partie, que les chasseurs-cueilleurs, du fait de leur mode de vie nomade, étaient obligés d’espacer la naissance de leurs enfants d’au moins quatre ans, en recourant à l’infanticide et à d’autres moyens, parcequ’une mère devait porter son bébé jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour suivre les adultes. Les agriculteurs sédentaires, n’avaient pas ce problème ; une femme pouvait mettre, et mettait effectivement au monde un enfant tous les deux ans. Si l’agriculture passa pour un progrès, c’est sans doute parcequ’elle permet la production de bien plus de quintaux de nourriture à l’hectare, entraînant la croissance des populations, puisque la santé et la qualité de vie des Hommes individuellement (y compris sur le plan de la santé) dépendent de la qualité de nourriture par bouche à nourrir.

1:Un mile carré mesure 2.5 km².


Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; p 345-346

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Propagation de l'agriculture; Diamond

1 carré, tandis qu’elle est en moyenne au moins dix fois plus élevée chez les populations d’agriculteurs. La raison en est, en partie, qu’un hectare de terre cultivée entièrement en plantes comestibles produit bien plus de quintaux de nourriture, et donc permet de nourrir bien plus de bouches, qu’un hectare de forêt parsemé de plantes sauvages comestibles. Une autre raison est aussi, en partie, que les chasseurs-cueilleurs, du fait de leur mode de vie nomade, étaient obligés d’espacer la naissance de leurs enfants d’au moins quatre ans, en recourant à l’infanticide et à d’autres moyens, parcequ’une mère devait porter son bébé jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour suivre les adultes. Les agriculteurs sédentaires, n’avaient pas ce problème ; une femme pouvait mettre, et mettait effectivement au monde un enfant tous les deux ans. Si l’agriculture passa pour un progrès, c’est sans doute parcequ’elle permet la production de bien plus de quintaux de nourriture à l’hectare, entraînant la croissance des populations, puisque la santé et la qualité de vie des Hommes individuellement (y compris sur le plan de la santé) dépendent de la qualité de nourriture par bouche à nourrir. 1:Un mile carré mesure 2.5 km². Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; p 345-346]]>

Effet de l'amélioration de l'hygiène dans les pays sous-technicisés ; Henry Laborit

Enfin, la technologie dans les domaines de l’hygiène a amené la disparition de la plupart des grandes pandémies mondiales. Dans les pays technicisés l’accroissement démographique qui en a résulté a été modéré par l’accroissement et la recherche du bien-être économique de l’individu. Mais dans les pays sous-développés généralement encore au stade agraire et tribal où chaque famille était habituée à perdre beaucoup d’enfants, du fait de la précarité de l’hygiène infantile, cette protection a conduit à une urbanisation rapide qui en l’absence de structures technologiques évaluées a été à l’origine d’un paupérisme catastrophique. L’absence d’échelles hiérarchiques étalées a fait prédominer les crises sur le malaise et permis l’établissement d’une dictature généralement militaire, favorable à l’impérialisme étranger, car elle en profite ainsi que la classe dominante. Les pays d’Amérique Latine me paraissent un exemple de ce processus. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 214]]>