Agressivité et fuite; Laborit

La motivation puissante que représente la recherche du bien-être par la consommation peut s’accommoder de l’appartenance de l’individu à un groupe humain. Celui-ci par sa dominance sur les autres groupes peut la satisfaire, même si le système hiérarchique au sein du groupe entretient encore un certains malaise social. Par contre dans une société planétaire, le bien-être par la consommation, s’il peut exister aussi sans doute, ne peut être qu’une retombée indirecte d’un comportement dont il ne peut représenter le but essentiel.

Quelle motivation peut alors découvrir l’homme de demain s’il veut assurer la survie de l’espèce ? Nous avons déjà proposé de détourner son agressivité de son environnement humain, vers son environnement inanimé. De même que la réaction organique à l’agression (ROPA2) a permis la fuite et la lutte contre la bête féroce, puis contre l’ennemi envahissant le territoire, mais ne sert plus à rien lorsqu’elle est mobilisée aujourd’hui contre le patron, le chef d’équipe ou le voisin de palier, que l’on ne peut plus fuir ou faire disparaître, de même l’agressivité qui en est l’expression comportementale est la plus souvent inutilisable dans le réseau sociologique serré qui emprisonne le citadin d’aujourd’hui. Cette motivation qui restera toujours la recherche du plaisir, il faut apprendre à l’homme à en trouver l’assouvissement non plus par l’acquisition seulement de connaissances professionnelles, non plus par une promotion sociale établie suivant les règles de la domination hiérarchique professionnelle, mais dans la créativité, dans l’obtention d’un pouvoir politique par classes fonctionnelles, et dans l’acquisition de l’information généralisée. Il faut le motiver politiquement. Il faut que la politique devienne son activité fondamentale.

2 : ROPA= réaction organique postagressive (H Laborit 1952). Réaction organique à l’agression et choc, Masson et Cie, édit.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 324-325

Changement de paradigme ; Laborit

Les hiérarchies de valeurs actuelles s’établissant, nous l’avons vu, sur l’information technique spécialisée et d’autre part l’autogestion devant forcément aboutir à leur disparition pour permettre le pouvoir des classes fonctionnelles, il est probable que les dominances hiérarchiques technologiques s’opposeront à la disparition de leur pouvoir. On risque alors de voir une lutte de classe non plus seulement entre « prolétaires » et « capitalistes » détenteurs des moyens de production, mais surtout entre prolétariat, dépourvu de connaissances techniques et bourgeoisie technocratique, ou au contraire comme cela s’est passé jusqu’ici, une classe technocratique et bureaucratique prendre la place de la bourgeoisie traditionnelle, comme celle-ci avait jadis pris la place de l’aristocratie, « Monsieur », le cadre, qui a des « responsabilités » comme chacun sait, s’opposera à ce que son autorité soit contestée par des ignorants. Mais ce qui est contesté n’est pas un savoir technique quand il est valable, mais bien l’utilisation de cet acquis technique et de l’autorité qui ne devrait être que technique, qu’il confère dans un cadre de hiérarchies de valeur, de salaires, de considérations, de pouvoir, par le fait que cet acquis technique est conforme à la recherche de la dominance par l’expansion. Ce qui sera contesté lors du changement de paradigme sera, non pas la connaissance technique en elle-même mais bien, l’échelle hiérarchique de dominance et de pouvoir qu’on justifie à sa suite ; Henry Laborit ; La nouvelle grille. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg226-227]]>

Conte Égyptiens : les frères voleurs et le Pharaon, Enquête, Hérodote

Le roi Rhampsinite1, m’a-t-on dit, posséda une immense fortune en argent ; aucun des rois qui lui succédèrent ne put sur ce point le dépasser ou même l’égaler. Pour mettre son trésor à l’abris, il se fit bâtir une chambre toute en pierre, dont l’un des murs donnait sur l’extérieur du palais. Mais son architecte dans un dessein coupable, usa d’un artifice en construisant cette pièce : il fit en sorte que l’une des pierres de ce mur pût être aisément retirée par deux hommes ou même un seul. Sitôt l’édifice achevé, le roi y entassa ses trésors. Les années passèrent et l’architecte arrivé à son dernier jour, manda ses fils (il en avait deux) et leur fit connaître l’artifice dont il avait usé, en bâtissant le trésor royal. L’architecte mourut, et ses fils se mirent sans tarder à l’ouvrage. Ils vinrent la nuit au palais, reconnurent et déplacèrent sans peine la pierre du mur et emportèrent beaucoup d’argent. En ouvrant un jour son trésor, le roi fut surpris de trouver moins d’argent dans les vases, mais il ne savait qui soupçonner : les sceaux étaient intacts et la pièce bien verrouillée. Il y revint à deux ou trois reprises et, comme à chaque visite il voyait son argent diminuer, il prit le parti que voici : il fit faire des pièges et les fit disposer autour des vases où était l’argent. Les voleurs vinrent comme auparavant : l’un deux s’introduisit dans la pièce, mais sitôt qu’il s’approcha du vase qu’il comptait vider, le piège se referma su lui. Dès qu’il eut compris son malheur, l’homme appelle son frère, lui montre ce qui lui arrive et lui enjoint d’entrer au plus vite et de lui couper la tête, de crainte qu’on ne le vît et qu’on ne le reconnût : la perte de l’un entraînerait celle de l’autre. Le frère jugea qu’il avait raison et suivit son conseil ; puis il remit la pierre en place et revint chez lui, en emportant la tête de son frère. Le jour venu, le roi entra dans la chambre et demeura stupéfait d’y trouver le corps de son voleur pris au piège et décapité, quand la pièce ne présentait nulle trace d’effraction et nulle possibilité d’y entrer ni d’en sortir. Dans cette incertitude, il prit le parti suivant : il fit pendre au mur le cadavre de son voleur, et le fit garder par des sentinelles, qui avaient ordre de saisir et de lui amener toutes personnes qu’elle verraient gémir ou pleurer sur lui. Le cadavre fut donc accroché au mur, mais la mère du voleur ne put supporter cette idée : elle s’adressa au fils qui lui restait et lui enjoignit de trouver un moyen quelconque de détacher le corps de son frère et de le lui rapporter ; et elle le menaçait, s’il négligeait sa demande, d’aller elle-même dire au roi que l’argent était en sa possession.

En butte aux incessants reproches de sa mère, le fils survivant, qui ne pouvait, malgré tous ses efforts, lui faire entendre raison, eut recours au stratagème suivant : il harnacha des ânes, les chargea de quelques outres remplies de vin et les poussa devant lui. Près des sentinelles qui veillaient sur le cadavre pendant au mur, en tirant sur le col de deux ou trois de ses outres, il en défit volontairement les liens. Le vin se répandit et lui criait et se frappait la tête, en homme qui ne sait vers quel âne courir d’abord. Quant aux sentinelles, lorsqu’elles voient le vin couler à flots, elles se précipitent sur la route avec des récipients pour recueillir ce vin jaillissant des outres, en se félicitant de l’aubaine. Lui les accablait d’injure en feignant la colère ; puis, comme ils essaient de le consoler, il feint au bout de quelque temps de se calmer et d’oublier sa fureur. Enfin, il pousse ses bêtes hors du chemin, pour remettre en ordre leur chargement. De propos en propos l’un des gardes, en lui plaisantant, réussit à l’égayer, si bien qu’il leur fait cadeau d’une de ses outres. Aussitôt ils s’étendent à terre, sans aller plus loin, et ne songent plus qu’à boire ; ils lui font place à leurs côtés et l’invitent à rester et à boire en leur compagnie. Le jeune homme se laissa convaincre et demeura ; puis, comme ils buvaient cordialement à sa santé, il leur offrit une autre de ses outres. Après forces libations, les gardes complètement ivres et vaincus par le sommeil s’écroulèrent sur place. La nuit déjà profonde permit au jeune homme de détacher le corps de son frère ; puis, en manière d’outrage, il rasa la joue droite à tous les gardes, chargea le corps sur ses bêtes et revint chez lui, après avoir ainsi satisfait aux volontés de sa mère.

Le roi s’irrita fort quand il apprit la disparition su cadavre ; mais, décidé à tout faire pour découvrir l’auteur de ses stratagèmes, il prit, dit-on, le parti suivant (que je me refuse à croire pour ma part) : il envoya sa propre fille dans un lieu de débauche, avec ordre d’accueillir indifféremment tous ceux qui se présenteraient et de leur réclamer, avant de se livrer à eux, le récit de l’action la plus ingénieuse qu’ils eussent faite de leur vie ; si l’un d’eux lui racontait l’histoire du voleur, elle devait le saisir et ne pas le laisser s’échapper. La fille fit ce que voulait le père, mais le voleur apprit la raison de sa conduite et résolut de se montrer plus malin que le roi : il coupa près de l’épaule le bras d’un homme qui venait de mourir, le cacha sous son manteau et se rendit auprès de la fille du roi. Quand il fut devant elle, elle lui posa la question qu’elle posait à tous ses visiteurs : il lui répondit que son acte le plus criminel était d’avoir coupé la tête de son frère, le jour où il s’était trouvé pris au piège dans le trésor du roi, et son acte le plus ingénieux, d’avoir enivré les gardes pour détacher du mur le cadavre de son frère. À ces mots la princesse voulu le retenir, mais, dans l’obscurité, le voleur lui tendit le bras du mort dont elle se saisit, croyant tenir le sien ; l’homme le lui laissa dans les mains, gagna la porte et prit la fuite.

Quand le roi connut cette nouvelle aventure, l’audace et l’ingéniosité de l’homme le laissèrent d’abord stupéfait ; enfin, il fit proclamer par toutes ses villes qu’il lui accordait l’impunité et lui promettait de grandes faveurs s’il se présentait devant lui. Confiant en sa parole, le voleur vint le trouver. Rhampsinite l’admira fort et lui donna sa fille en mariage, comme à l’homme le plus habile qui fut,- car les Égyptiens l’emportent sur tout les autres peuples, et celui-là l’emportait sur tout les égyptiens2.

1 : On a vu dans Rhampsinite soit ramsès III, soit Ramsès II. C’est bien Ramsès II qui construisit le portique ouest du temple de Ptah de Memphis, et des fragments des colosses y ont été retrouvés.

2 : un conte populaire Égyptien doit évidemment se trouver à la base du récit d’Hérodote ; des manuscrits égyptiens tardifs contiennent des récits de la même veine.

Pg 223-226

L’Enquête, Livre II, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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