L’individu postmoderne de Zygmunt Bauman; Gazalé

L’individu postmoderne n’a donc plus grand-chose à voir avec le citoyen moderne,que le sociologue et philosophe anglais (d’origine polonaise) Zygmunt Bauman, compare à un pèlerin : il part d’un point pour arriver vers un autre, sait où il va et pourquoi il y va, ne dévie pas de son itinéraire et vise le salut au terme de son périple. Le sujet postmoderne, au contraire, ne marche plus sur une ligne droite, mais zigzague d’un chemin à l’autre, revient en arrière, change de voie, flâne et envisage sans cesse d’autres possibles. Il ne se laisse plus enfermer dans les grands idéaux collectifs (les «grands récits»), mais s’engage de façon ponctuelle et réversible, en veillant toujours à préserver son autonomie. C’est un individu caractérisé par la fluidité, la légèreté, la flexibilité et la réinvention de soi permanente, qui flotte dans une ère «liquide».

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 381

Déconstuire la binarité de notre pensée ; Gazalé

L’opération de déconstruction préconisée par Derrida consiste d’abord à critiquer la rigidité d’une telle grille ( découpage artificiel du réel en concept de masculin/féminin qui marginalise ou évacue tout ce qui ne s’inscrit pas dans cette opposition binaire) et à dénoncer l’ordre hiérarchique qu’elle impose pour neutraliser les dyades, les déplacer et créer de nouveau concepts. Les catégories par lesquelles nous pensons le monde étant accusées d’être des «fictions» renvoyant à l’illusion de la maîtrise, de la totalité et de la verticalité, il s’agit de leur substituer une façon de penser non binaire, transversale, horizontale, ouverte, ramifiée, capable de s’ouvrir au multiple, à l’irrationnel, au discontinu, à l’indéterminé, au singulier, au fragmentaire et au changement.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 381

Le monotechnicien polyconceptualiste ; Laborit .

Si nous admettons, comme nous l’avons proposé précédemment, que la créativité, finalité évidente de l’interdisciplanirité, résulte d’associations originales d’éléments pris à des disciplines différentes, il est difficile de savoir si ces associations doivent être réalisées en réunissant des individus différents appartenant à plusieurs disciplines, malgré les difficultés inhérentes à la dynamique des groupes humains, ou si ces associations peuvent être réalisées dans un même individu que nous avons dénommé « polyconceptualiste » pour l’opposer au « polytechnicien ».

Or, l’étude de la créativité touche là à la sociologie, car il semble que ce qui paraît le plus souhaitable c’est une équipe de monotechniciens polyconceptualistes. Mono techniciens parce qu’il faut bien à un moment ou à un autre « informer » la matière et que cette possibilité de mise en forme, nous l’avons dit, est difficile à acquérir par un même homme dans plusieurs disciplines à la fois. Polyconceptualistes car c’est la façon la plus simple de faire disparaître la morgue interdisciplinaire, d’accorder les langages donc de permettre l’échange profitable des informations entre monotechniciens, et surtout d’aboutir à la création. A la création de nouvelles structures à laquelle chacun peut participer sur le plan conceptuel, alors qu’il se trouve protégé parallèlement par la technicité de tous les autres. Une telle équipe constitue en définitive un modèle peut-être utopique, d’une société humaine harmonieuse et efficace, fondée sur la distinction nécessaire entre information spécialisée, que l’on pourrait aussi appeler professionnelle ou technique, et information généralisée, celle concernant les structures d’ensemble et leur dynamisme fonctionnel. Existe-t-il un autre moyen d’atteindre la tolérance ?

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 317-8-319

Produire ou connaître ?? A vous de choisir ; Laborit

La « décision » en définitive aboutirait à choisir entre la production et la possession d’un nombre croissant d’objets de consommation, ou un type de vie laissant suffisamment d’heures libres par jour pour accroître les connaissances que chacun doit posséder des relations interhumaines sous leur forme biologiques, psychologiques, sociologiques, économiques, politiques. Ce deuxième type de vie, c’est évident, réduirait considérablement la production ou du moins stopperait la croissance ou l’expansion. Il aboutirait à l’état si redouté des économistes et des hommes politiques, la stagnation. Mais dans une stagnation concernant la production de biens de consommation, pourrait s’épanouir un véritable « miracle », non plus économique, mais humain. La question serait alors clairement posée de savoir si la finalité de l’espèce humaine sur la planète est de faire toujours plus de marchandises, ou de mieux connaître le monde inanimé, le monde vivant y compris le monde humain. Pour la première fois, ce problème ne serait plus abandonné à quelques philosophes, mais postés à l’ensemble des hommes, avec suffisamment d’informations non dirigées pour pouvoir le résoudre. La première conséquence évidemment serait la brusque disparition des hiérarchies de valeur. Nous retrouvons donc au niveau des sous-ensembles nationaux, la notion que l’information structure, sociologique, est fonction de la finalité de l’ensemble. L’individu dans ce sous-ensemble n’est-il uniquement qu’une machine à produire, ou son action sur l’environnement qui a pour finalité son « bien-être », son plaisir, peut-elle aussi s’exprimer dans un autre langage que celui de l’économie ? La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 222-223]]>

La conscience; Wright ; l'animal moral.

1. C’est le stade auquel on désire être reconnu comme « gentil » et « bon ». C’est-à-dire passer pour un altruiste réciproque fiable, une personne à laquelle on peut avoir intérêt à s’associer. C’est notamment cette pulsion qui fait l’extraordinaire force des codes moraux collectifs : nous voulons tous faire – ou, pour être plus précis, nous voulons tous être vu en train d’accomplir – ce que chacun affirme être bien. 1:voir MacDonald Kevin, SociobilogyPerspectives on Human Development, New York, Springer-verlag, 1988, sur le sujet général de l’adaptation du mal psychique. L’animal Moral, Psychologie évolutionniste et vie quotidienne ; Robert Wright ;Folio Documents ; Pg 344-345]]>

Evolution des sous-ensemble sous-technicisés; Laborit ; La nouvelle grille.

…, plus que la force de travail qui n’est rien sans l’information, ce qui peut être l’objet d’échange ce sont la masse (les matières premières), l’énergie et l’information professionnelle. Ces objets n’ont de « valeur d’usage » que par l’apprentissage socioculturel qui sait ce que l’on peut en faire dans les processus de production des biens de consommation. Quand les peuples sous-développés auront compris l’importance de l’information professionnelle dans la transformation des matières et l’utilisation de l’énergie, rien ne prouvent qu’ils désireront l’acquérir et évoluer eux aussi vers une civilisation industrielle. Mais s’ils sont eux aussi attirés par le progrès technique, peut-être alors une nouvelle étape sera-t-elle franchie en ce qui concerne l’information structure planétaire. En effet, les pays actuellement sous-industrialisés seront alors capable de manufacturer ou, plus exactement de mécano-facturer leurs matières premières, de transformer ou d’utiliser leur énergie et de fournir au reste du monde le produit de leur travail informé. Ils acquerront ainsi l’indispensabilité de classe fonctionnelle qu’ils ne possèdent pas encore, car si les pays industrialisés ont un besoin sans cesse accrus des richesses que contiennent leurs niches écologiques, ils peuvent par contre fort bien se passer des populations qui les habitent. Ainsi, à moins d’admettre la disparition de celles-ci qui résultera tôt ou tard de l’accroissement de la dominance comme nous avons assistés à celles des ethnies que nous avons citées plus haut, c’est par leur inclusion dans l’information-structure planétaire que pourra se réaliser leur ouverture. Cette ouverture dans ce cas se fera dans le sens vertical. Leur ouverture horizontale par association entre elles, si difficile à réaliser qu’elle soit apparemment, semble cependant le moyen le plus efficace et le plus rapide de réaliser l’ouverture verticale souhaitée. En effet leur inclusion séparée aux ensemble hautement technicisés, même associés à une évolution technique parallèle, ne peut aboutir qu’à l’uniformisation de la finalité, par adoption obligatoire de la finalité des nations industrielles et l’abandon des caractéristiques propres du sous-ensemble local. Au contraire, l’ouverture horizontale première doit réunir les pays du tiers monde dans un ensemble nouveau qui devra trouver sa finalité. Il est souhaitable que ce ne soit pas l’expansion économique isolément car, au lieu de reproduire l’évolution des civilisations techniques, peut-être trouveront elles un autre type d’évolution originale et capable d’influencer la nôtre. Peut-être l’évolution attend-elle l’association complémentaire de ces deux types de structure pour repartir vers des « lendemains qui chantent » …. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 215-216]]>

L'idée de « la mauvaise personne » ; Wright ; l'animal moral.

1. John Stuart Mill avance un point de vue tout aussi censé. Il insiste sur l’idée de tolérance face à la diversité morale, il souligne les bienfaits, à terme, d’un certain anticonformisme dans nos sociétés, mais ne recommande à personne d’ériger en mode de vie une morale aventureuse. Sous le radicalisme qui transparaît dans La Liberté, Mill nous conseille de contrôler fortement nos pulsions par la pensée. « La grande majorité des individus n’est pas vraiment douée pour le bonheur, écrit-il dans une lettre. Ils attendent […] du mariage beaucoup plus de bonheur qu’ils n’en trouvent généralement. Et, sans comprendre que la faute en incombe uniquement à leur inaptitude au bonheur, ils s’imaginent qu’ils auraient été plus heureux avec quelqu’un d’autres. » Conseil de Mill aux insatisfait : On ne bouge pas et on attend que ça passe. « S’ils restent unis, le sentiment de déception finit par disparaître avec le temps, et ils passent le reste de leur vie ensemble, avec autant de bonheur qu’ils en auraient trouvé seuls ou avec quelqu’un d’autre, et sans avoir enduré l’épuisante répétition des expériences ratées2. »

1:Un sondage de 1985 montre que 26 % des hommes qui s’étaient mariés étaient soit séparés, soit divorcés. 25 % de ceux qui s’étaient remariés par la suite étaient à nouveau séparés ou divorcés. (ce qui ne veut pas dire que 75 % des mariages soient des succès ; ce sondage porte sur les hommes de tous âges, et les plus jeunes d’entre eux divorceront peut-être plus tard, et donc feront descendre le taux de succès.) Puisque les hommes mariés pour la deuxième fois ont tendance à être plus âgés que ceux qui ne se marient qu’une fois, les seconds mariages auront tendance à avoir un taux de succès plus élevé. Mais cela ne veut pas dire que leur chance de réussite , calculée année par année, soit plus grande. Ces chiffres sont le résultats de calculs que j’ai faits à partir du sondage du bureau américain de recensement.
2:Rose Phyllis, Parallel Lives : Five Victorian Mariages; 1983, p. 108. Randolph Nesse ; »Psychiatry », in Maxwell, Mary éd., The sociological imagination, Albany, State University of New York Press;1991 serait d’accord avec Mill. Il note que l’harmonie conjugale est souvent cosidérée, à tort, comme la norme, et que beaucoup de couple se révèle « insatisfait de leur mariage, qui est pourtant plus heureux que la moyenne »(p.28)
L’animal Moral, Psychologie évolutionniste et vie quotidienne ; Robert Wright ;Folio Documents ; Pg217-218]]>

Si l’humanité veut continuer à vivre, elle doit changer ; Les deux humanismes, Edgard Morin, Le monde diplomatique 10-2015

Comme l’humanité est désormais menacée de périls mortels (multiplication des armes nucléaires et des guerres civiles internationalisées, déchaînement des fanatismes dégradation accélérée de la biosphère, crises et dérèglement de l’économie dominée par une spéculation financière incontrôlée), la vie de l’espèce humaine et, inséparablement, celle de la biosphère deviennent une valeur primaire, un impératif prioritaire. Nous devons comprendre alors que si nous voulons que l’humanité puisse survivre, elle doit se métamorphoser. Karl Jespers1 l’avait dit peu de temps après la seconde guerre mondiale : « Si l’humanité veut continuer à vivre, elle doit changer. » Or, aujourd’hui, le problème primaire de la vie est devenu la priorité d’une nouvelle conscience, qui appelle une métamorphose. 1 : Philosophe Allemand (1883-1969) Extrait de « Les deux humanismes », Edgard Morin, Le monde diplomatique octobre 2015]]>

Les deux humanismes ; Edgard Morin, Le monde diplomatique 10-2015

Dans la civilisation occidentale, l’humanisme a pris deux visages antinomiques. Le premier est celui de la quasi divination de l’humain, voué à la maîtrise de la nature. C’est en fait une religion de l’homme se substituant au dieu déchu. Il est l’expression des vertus d’Homo sapiens/faber/œconomicus. L’homme, dans ce sens, est mesure de toute chose, source de toute valeur, but de l’évolution. Il se pose comme sujet du monde et, comme celui-ci est pour lui un monde objet, il se veut souverain de l’univers, doté d’un droit illimité sur toute chose, dont le droit illimité à la manipulation. C’est dans le mythe de sa raison (Homo sapiens), dans les pouvoirs de sa technique et dans le monopole de la subjectivité qu’il fonde la légitimité absolue de son anthropocentrisme. C’est cette face de l’humanisme qui doit disparaître. Il faut cesser d’exalter l’image barbare, mutilante, imbécile, de l’homme autarcique surnaturel, centre du monde, but de l’évolution, maître de la nature. L’autre humanisme a été formulé par Montaigne en deux phrases :  « Je reconnais en tout homme mon compatriote » ; « On appelle barbares les peuples d’autres civilisations ». Montaigne a pratiqué son humanisme dans la reconnaissance de la pleine humanité des indigènes d’Amérique cruellement conquis et asservis et dans la critique de leurs asservisseurs. Cet humanisme s’est enrichi chez Montesquieu d’une composante éthique, dans le principe que, s’il faut décider entre sa patrie et l’humanité, il faut choisir l’humanité. Enfin, cet humanisme devient militant chez les philosophes du XVIIIe siècle et il trouve son expression universaliste dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cet humanisme reconnaît dans son principe la pleine qualité humaine à chaque être de notre espèce ; il reconnaît dans tout être humain une identité commune au-delà des différences ; il sous-entend le principe défini par Emmanuel Kant : appliquer à autrui ce que nous souhaitons pour nous-mêmes. Il sous-entend le principe posé par Friedrich Hegel : tout être humain a besoin d’être reconnu dans sa pleine humanité par autrui. Extrait de « Les deux humanismes », Edgard Morin, Le monde diplomatique octobre 2015]]>