Quand le statu quo est impossible-2 : passer au vélo ; Bihouix

Mais imaginons un instant qu’il soit possible de s’organiser un peu, de mieux répartir le temps de travail, de l’aménager, en parallèle de la baisse de nos besoins de consommation. Considérons la part du PIB qui est consacrée entièrement ou partiellement à la voiture et à son système technique associé.

Il y a d’abord les «fabricants» eux-mêmes : les constructeurs automobiles, les équipements, leur logistique, les équipements nécessaires pour construire et entretenir les usines (robots, machines), les producteurs de matières premières ou transformées : acier, aluminium, plastiques (polypropylène, polyesters, …), caoutchouc artificiels, peintures, verre…

Il y a ensuite tout ce qui concerne les réseaux techniques et commerciaux, nécessaires ou associés : les concessionnaires, les garages, les casses, les décharges ; l’ensemble du système pétrolier, des puits aux stations-services (des milliers d’employé rien que pour vérifier la métrologie et entretenir les pompes de distribution), en passant par les plateformes, les pétroliers, les infrastructures portuaires, les raffineries, les pipelines ; les travaux publics et leurs machines, les parkings souterrains (avec l’acier, le ciment, le sable et les granulats…), les routes et toutes les sociétés d’entretien, le bitume, les glissières, les panneaux, les péages, les feux de signalisation, les peinture au sol ; l’ensemble des dépenses de publicités, avec leur matières premières consommées comme le papiers et les encres dans les journaux, pour les affiches…

Il y a enfin toutes les activités induites, de contrôle, de régulation ou de gestion des conséquences : les radars, les policiers et leurs moyens techniques, les fabricants d’alcootests, les hôpitaux, les chirurgiens, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les juges, les assurances, avec leur immeubles et leurs ascenseurs ; l’administration (cartes grises, autrefois vignettes…) ; le ravalement régulier d’immeubles noircis, le traitement des eaux polluées (bassin d’orages) et, à terme, le coût du changement climatique ; sans compter une partie des forces armées, avec leur propre système technique, pour sécuriser nos approvisionnement pétroliers ou métalliques…

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 195-196

Quand le statu quo est impossible : passer au vélo ; Bihouix

Le vélo est de loin le véhicule qui a le meilleur rendement énergétique, puisqu’il ne déplace que quelques kilogrammes en plus de la charge utile. Il a de plus l’avantage d’être extrêmement durable et réparable. Bien sûr, cela conviendra mieux au «bobo» qui habite à quelques kilomètres tout au plus de son travail, dans un centre-ville ou une proche banlieue huppée, qu’aux classes populaires, repoussées toujours plus loin, qui doivent parcourir chaque jour des dizaines de kilomètres, qu’il pleuve ou qu’il vente.

L’argument est valable, et on peut y répondre par quelques éléments.

  • Premièrement, il ne s’agit que d’une suggestion de la direction à prendre, sachant qu’une tentative de statut quo, de maintien d’une civilisation de la voiture, est vouée à un échec retentissant à plus ou moins long terme.
  • Deuxièmement, il n’y a pas que les longs déplacements entre le domicile et le travail. Une grande partie est constituée de déplacements de moins de trois kilomètres : acheter un pain, aller chercher les enfants à l’école, accompagner le grand à l’école de musique ou la petite à ses cours de danse… Moins de trois kilomètres, cela devient déjà plus simple, à condition de disposer de routes sûres -c’est le cas lorsque tout le monde se retrouve à vélo et pas en voiture !- et d’outils adéquat : vélos avec paniers pour les courses, charrettes ou sièges pour les jeunes enfants ou des charges plus lourdes, est. Notre pays a la chance, par son histoire territoriale, d’être encore assez bien concentré, en tout cas plus que les États-Unis, qui auront du mal à se passer de leur pick-up, et sont donc prêts pour cela à massacrer paysages et sous-sol pour pomper les derniers barils de pétrole de schiste. Mais après chacun aura sa croix.
  • Troisièmement, des progrès techniques énormes – mais de basse technologie – ont été faits, comme les vélos à assistance électrique, les vélos pliables utilisables en complément des transports en commun, les vélos «couchés» qui permettent de parcourir de grandes distances avec une dépense énergétique bien moindre et évitent le mal de dos…
  • Quatrièmement, revenons sur la notion de «vitesse généralisée» d’Ivan Illich1. En prenant compte la vitesse moyenne, on va un peu plus vite en voiture qu’en vélo (disons 30 à 50 km/h contre 10 km/h). Mais si l’on ajoute le temps de travail qui a été nécessaire pour se payer ce moyen de locomotion (achat initial puis carburant, assurances, entretien…), on peut calculer une sorte de vitesse généralisée, et le vélo repasse alors en tête, car son coût est modique.

Bien sûr, tout cela est un peu virtuel, car on voit mal quelqu’un qui passe une heure par jour dans sa voiture et neuf heures au travail transformer sa journée en quatre heures de vélo et six heures au travail. Sans parler d’obtenir l’accord de l’employeur, il serait peut-être difficile de tenir dans la durée en répétant une telle journée cinq fois par semaine, quarante-sept semaines par an, surtout si l’emploi est lui-même physique. Mais imaginons un instant qu’il soit possible de s’organiser un peu, de mieux…(suite dans le deuxième partie de l’article).

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 193-195

Le règne de la voiture doit cesser ; Bihouix

«Laissée à elle-même, la bagnole finit par se détruire. Le temps que sa rapidité nous donne, elle le reprend aussitôt pour nous expédier ailleurs […] . Elle nous mène à la campagne, mais bientôt, l’auto aidant, nous ne trouverons plus à cent kilomètres de voiture la baignade ou la verdure qui nous attendaient à cinq minutes à pied1

Une phrase prophétique… Les mares à tritons de Nogent-sur-Marne2 ou d’ailleurs ont disparus, au profit des viaducs, des autoroutes, des no man’s land entre bretelles de bitume. Il est clair désormais que la liberté créée par la mobilité individuelle motorisée est chère payée, du point de vue environnemental (émission de gaz à effet de serre et de polluants, consommation de ressources, artificialisation du territoire…) comme sociétal (nuisance sonore, fragmentation des lieux de vie, impacts sanitaires…). Il n’existe et n’existera aucune source d’énergie ou de vecteur énergétique permettant d’offrir à l’humanité la mobilité moyenne d’un Américain, ou même d’un Européen (et sûrement pas la voiture électrique). La consommation énergétique et métalliques est telle que le seul choix est de sortir de la civilisation de la voiture, et tout cas au sens où l’on entend le mot «voiture», c’est-à-dire un objet de l’ordre d’une tonne transportant 80 kg de charge utile dans la plupart des cas. Pour l’instant, on n’en prend pas le chemin, avec un parc mondial de véhicules qui a passé le cap du milliard en 2010. Mécaniquement, le besoin généré en routes et parkings supplémentaires provoque la disparition de millions d’hectares de précieuses terres agricoles (notamment en Chine), souvent les plus riches car situées dans les zones en cours d’urbanisation dans les plaines et sur les côtes.

1 : Bernard Charbonneau, L’Hommauto, Paris, Denoël, 1967, p. 123

2 : François Cavanna, Les Ritals, Paris, Belfond, 1978

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 190-191

Le mirage de l’aquaculture ; Bihouix

Le poisson est en voie d’épuisement et partout les stocks sont victimes de surpêche. Comme pour les rendements dans l’énergie, il y a un indicateur qui ne trompe pas : c’est la chute du CPUE, le catch per unit effort, qui indique que l’on utilise des bateaux toujours plus puissants, plus gros, plus équipés de hautes technologies (voir par exemple l’équipement sonar des thoniers-senneurs pour détecter et identifier les bancs), que l’on pêche toujours plus profond (on retrouve dans nos assiettes des poissons d’eaux profondes qui peuvent avoir jusqu’à 130 ans d’âge), sans pour autant augmenter la quantité de prise mondiale. Elle est au contraire en stagnation ou légère baisse, à 95 millions de tonnes par an.

Heureusement, disent les optimistes béats, l’aquaculture se développe ! Elle serait la réponse à la pénurie de poisson et à l’effondrement des pêcheries dans le monde entier. Mais il y a un hic : nous mangeons des poissons plutôt carnivores, même des superprédateurs des océans, des bars, des thons, des espadons, des ailerons de requins, de «niveau trophique» 4 ou plus. Il faut donc 3 à 4 kg de poisson sauvage pour faire 1 kg de poisson d’élevage comme le saumon ou la daurade ! Et 20 % des prises mondiales, joliment dénommées «poissons fourrage», comme les anchois péruviens, sont déjà consacrées à l’aquaculture… Il n’y a donc pas de miracle à attendre de ce côté-là (sauf en passant à des poissons végétariens, ce que font les Chinois avec leur important élevage de carpes) et il faudra faire «maigre».

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 188-189

Toilette sèche vs système moderne ; Bihouix

Un dernier mot cependant à ceux que les toilettes sèches dégoûteraient : on n’a pas tant que cela évolué par rapport au moyen âge dans notre système de gestion des eaux. On capte de l’eau potable dans les fleuves (en partie au moins, et le reste dans les nappes phréatiques) et on y rejette les eaux usées. La différence est qu’il y a maintenant un traitement après captage et avant rejet. Mais l’aval des uns étant l’amont des autres, à moins d’habiter à la montagne, on boit littéralement les eaux usées des camarades qui habitent en amont. On évite donc les dérangements intestinaux grâce au Chlore, essentiellement. Est-ce tellement plus ragoûtant que des toilettes sèches à la sciure ? Et n’en profitez pas pour vous précipiter sur l’eau en bouteille !

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 187

Absurdité du système moderne d’épuration d’eaux ; Bihouix

Avec l’élevage et l’agriculture répartis sur les mêmes territoires, on améliore grandement la question des engrais, qui peuvent redevenir majoritairement organiques : fumiers et déchets d’abattoir (os, corne, sang desséché) pour l’azote (N) et le Phosphate (P), ou cendre de potassium (K)…

Cependant, le principe de Lavoisier étant toujours valable, il reste les nutriments présents dans les aliments que l’on prélève à la terre, et qu’il faut, à un moment ou à un autre, retourner – ce que l’on ne fait pas actuellement, d’où la compensation par des amendements de synthèse ou miniers. J’en arrive donc à la partie délicate du «programme», puisqu’il faudrait, idéalement récupérer les précieux azote, phosphore et potassium dans les matières fécales. Pour ces dernières, ce fut une longue habitude des paysans et maraîchers périurbains que de récolter goulûment, après passage intermédiaire par les «voiries», la «poudrette» issue des excreta urbains.

Disons que, sous nos latitudes, à peu près toutes les eaux usées passent par une station d’épuration, ou en fosse septique. Deux possibilités : soit on capte «à la source» (toilettes sèches en habitat individuel, récupération séparée des urines en habitat collectif, avec des exemples en Europe du Nord…), soit on récupère les boues en sortie de station d’épuration. Mais ces boues, dans le système actuel, sont fortement polluées : par les produits chimiques présents dans les eaux usées – cosmétique, produits d’entretien, peintures, médicaments… – et par les polluants léchés sur les sols par les eaux de pluie, majoritairement en provenance des pots d’échappement et des pneus des véhicules. En réduisant à la source la pollution (produits ménager et cosmétiques «bio», réduction très forte de l’utilisation des véhicules en ville), on pourrait réduire la pollution de ces boues , mais pas complètement sans doute, à cause de la pollution déjà présente sur tous les sols artificialisés, qui mettra longtemps à partir, ou ne partira pas du tout, quand c’est le bitume lui-même qui contient des métaux lourds.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 186-187

Les fausses promesses des OGM ; Bihouix

À entendre leurs laudateurs, souvent bien rémunérés, les plantes génétiquement modifiées seraient la solution pour nourrir la planète affamée tout en réduisant l’impact environnemental. Elles seraient même incontournables pour faire face au défi qui nous attend, à savoir augmenter la production d’un facteur 1.5 à 2 ou plus, en fonction des trois paramètres population/régime alimentaire/niveau de consommation. Ainsi, elles réduiraient l’utilisation de pesticides (en produisant leurs propres molécules de lutte contre les maladies ou les parasites), augmenteraient les rendements, permettraient d’exploiter des terres agricoles plus pauvres, ou plus arides, délaissées aujourd’hui, et même pourraient améliorer les capacités nutritionnelles des plantes.

Diantre ! Examinons de plus près ces promesses. Passons rapidement sur le riz doré riche en vitamine A, mais dont il faudrait absorber plusieurs kilogrammes par jour pour obtenir la dose recommandée. Quelles sont les cultures actuelles d’OGM dans le monde ? (voir figure ci-dessous)

Il s’agit exclusivement de différentes variétés de soja, maïs, coton et colza, qui sont résistante à l’épandage d’herbicides (les fameux Roundup ready de Monsanto), soit possèdent le gène Bt qui leur permet de synthétiser leur propre insecticide, soit combiner les deux caractéristiques.

Sans doute le gène Bt permet-il de réduire l’utilisation d’insecticides, mais sûrement pas de les supprimer. Le coton est ainsi une culture très fragile nécessitant au moins douze traitements par an pour lutter contre les larves de lépidoptères. Le coton Bt permet de réduire ces traitements de 20 à 30 % au mieux. Quant aux variétés tolérantes aux herbicides, elles sont, par définition, faites pour utiliser les herbicides systémiques à grandes échelles, et on constate, dans les pays qui ont adopté les cultures OGM, une augmentation de l’utilisation des herbicides, qui pourrait s’aggraver encore avec l’apparition de mauvaises herbes résistantes au Roundup.

Enfin, les OGM n’augmentent pas les rendements à l’hectare. Tout au plus peuvent-ils améliorer la productivité (en travail humain) en réduisant le nombre de passages pour traiter, donc le nombre d’heure de travail à consacrer à une surface de culture donnée. Et peut-être un rendement meilleur qu’une surface non traitée qui subirait des pertes de récolte, mais pas parce que «ça pousse mieux». Quant aux variétés OGM qui pourraient pousser dans les zones arides, aucune n’a fait ses preuves à ce jour, alors que ces caractéristiques (résistance à la sécheresse ou aux inondations, adaptation aux climats locaux, résistance à certains ravageurs…) existent souvent déjà dans les très nombreuses variétés traditionnelles non OGM.

Les OGM ne sont donc pas une réponse aux problèmes d’une planète affamée, mais une technique – bien hasardeuse, compte tenu des risques potentiels identifiés – pour produire la même quantité, ou peut s’en faut, mais avec moins de monde, en remplaçant du travail humain par des machines et des productions de produits chimiques difficilement biodégradables.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 176-179

Rendement et productivité ; Bihouix

Faisons d’abord une mise au point, car on met souvent derrière l’augmentation de la productivité agricole un peu de tout, de la révolution verte à la baisse du nombre d’agriculteurs un passant par les bienfaits de la mécanisation. Or il ne faut surtout pas confondre le rendement et la productivité (voir figure ci-dessous)

Productivité et rendement
L’age des Low Tech , Philippe Bihouix, p. 174

Le rendement agricole, c’est la production par hectare. Celui-ci dépend de la nature des sols et des climats, et en premier lieu de l’espèce cultivée. Il peut augmenter grâce à la sélection des variétés, aux méthodes de culture, à l’utilisation d’engrais pour favoriser la pousse, de pesticides pour réduire les pertes.

La productivité agricole, c’est la production par travailleur. Celle-ci dépend de la surface que peut cultiver un travailleur, multipliée par la production par unité de surface, c’est-à-dire le rendement. À rendement constant, la productivité augmente en passant de la culture manuelle à la traction animale, puis à la mécanisation, qui permet de cultiver toujours plus d’hectares avec moins de monde.

Lorsque l’on parlera de coût de revient, de prix, de compétitivité de notre agriculture dans un système mondialisé, c’est la productivité qui nous intéressera. Mais si l’on veut nourrir la planète, quel que soit le nombre de bras mis au travail pour cela, c’est bien de rendement surfacique qu’il faudra parler.

Et justement, la productivité continue à augmenter, tant dans les pays « développés» que dans les pays «émergents», par une mécanisation toujours plus lourde (tracteurs et engins plus puissants et plus sophistiqués, guidage GPS) et par l’augmentation de la taille des parcelles, et, globalement, des exploitations agricoles toujours moins nombreuses. Tandis que le rendement par hectare, lui, commence à stagner pour certaines cultures, voir l’exemple du blé tendre en France depuis une quinzaine d’années. Le «miracle» de l’agriculture des dernières années – en tout cas en France – c’est de produire à peu près la même quantité avec moins de personnel, c’est tout. Mais cela au prix de déboires environnementaux (algues vertes, sols épuisés, déforestations tropicales…) et sociétaux (désertification des campagnes, suicide de paysans, augmentation du chômage…).

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 174-176

Le tout solaire ? ; Bihouix

Certes, un quadrilatère de quelques dizaines ou centaines de kilomètres de côté dans le Sahara pourrait fournir toute l’électricité mondiale, mais ces calculs de coin de table ne veulent rien dire. Pour produire les 22000 Twh de la consommation électrique mondiale (en 2011), il faudrait installer l’équivalent de 500 années de production actuelle de panneaux solaires (ou plus modestement, 120 années pour la consommation européenne) ! Sans oublier qu’au bout de quarante ans au plus, il faudrait tout recommencer, étant donné la durée de vie des panneaux photovoltaïques. Et qui passerait le balai à chaque tempête de sable sur les dizaines de milliers de kilomètres carrés de panneaux ?

Encore faut-il ne pas confondre électricité mondiale et énergie mondiale : je vous passe les assommants calculs (ne pas confondre énergie primaire et énergie finale, comparer les rendements des moteurs thermiques et électriques…), mais il faudrait alors au bas mot 2000 années de production de panneaux solaires. Bien sûr, je suis un peu de mauvaise foi, car on peut faire de la croissance (verte) des capacités de production, par exemple les décupler (on l’a largement fait par le passé) ou les centupler. Mais quel défi industriel, tellement improbable ! Il faudrait commencer par construire des usines d’usines de panneaux, des bases logistiques monstrueuses… sans parler, surtout, de la disponibilité en métaux, en matériaux synthétiques, issus du pétrole et difficilement recyclables.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 75-76

Le mythe des technologies vertes salvatrices ; Bihouix

Or, les technologies que nous espérons salvatrices ne font qu’ajouter à ces difficultés. En misant sur le tout technologique pour notre lutte contre le changement climatique, nous risquons fort de créer de nouvelles pénuries (elles-mêmes nécessitant un recours accru à l’énergie) et d’accélérer ainsi le système de manière involontaire. Car les «technologies vertes» sont généralement basées sur des nouvelles technologies, des métaux moins répandus et contribuent à la complexité des produits, dont à la difficulté du recyclage.

Prenons quelques exemples.

  • Pour réduire de quelques grammes les émissions de CO2, par kilomètre, sans renoncer ni à la taille ni aux performances (principalement la vitesse et la résistance au choc) des véhicules, la seule solution, en dehors du rendement du moteur lui-même, est de les alléger. Pour cela, on utilise des aciers de hautes performance, toujours plus complexes, alliés avec de petites quantités de métaux non ferreux (manganèse, vanadium, niobium, titane,…) : non seulement ceux-ci ne sont plus récupérables en fin de vie (et sont recyclés en acier carbone pour armatures à béton du bâtiment), mais le niveau attendu de «pureté» des alliages est tel qu’il est nécessaire d’y employer des aciers de premières fonte.
  • Les bâtiments basse consommation ou à énergie positive sont eux aussi consommateurs de nombreuses ressources rares : équipements bourrés d’électronique (capteurs, gestion technique du bâtiment, micromoteurs des stores électriques automatiques…), additifs dans les verres faiblement émissifs, etc.
  • Pour développer les énergies renouvelables de manière significative, sans remise en cause de nos exigences en termes de continuité de service, il serait (sera?) nécessaire de relier les milliers d’éoliennes, de «fermes» photovoltaïques et de dispositifs de stockage (dans les batteries des véhicules, sous forme de méthane, d’hydrogène, etc.) par des smartt grids (réseaux intelligents) afin de permettre à tout instant l’équilibre entre une offre erratique et intermittente et une demande variable, avec des consommteurs qui seront connectés par des compteurs eux aussi «intelligents» et communicants (Linky d’ERDF, en phase pilote) pernettant d’effacer la demande. Un tel macrosystème technique sera basé sur de très nombreux équipements high tech, bourrés d’électronique et de métaux rares.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 71-72