Le vrai créateur doit trouver une motivation extérieure au système établi ; Laborit

Les écrivains et les philosophes eux-mêmes seront honorés au prorata de leur apport au maintien des structures mentales et sociales existantes. Ce qui se vend le mieux, c’est toujours ce qui crée le moins d’inquiétude, à savoir l’expression des lieux communs et des préjugés d’une époque

Le créateur doit donc trouver une motivation en dehors des hiérarchies de la société où il vit car la création affirme une structure nouvelle, non conforme, anxiogène. Elle ne peut donc être immédiatement admise par le groupe humain, la société de l’époque où elle est exprimée. Elle est contraire aux hiérarchies qui établissent les dominances sur un acquis accepté, conforme, non anxiogène, utile au maintien de la structure du groupe.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg306-307

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La caractéristique de notre espèce; Diamond

En peut-être moins d’un millier d’années après qu’ils eurent trouvé un passage pour franchir la couverture glaciaire qui recouvrait la frontière actuelle entre les États-Unis et le Canada, les Amérindiens sont descendus jusqu’à la pointe de la Patagonie et se sont installés sur les deux continents nord et sud de l’Amérique, deux régions inexplorées et fertiles. Cette marche des Amérindiens vers le sud a représenté la plus grande phase d’expansion géographique qui se soit produite dans l’histoire le Homo Sapiens. Rien ne pourra jamais arriver désormais sur notre planète qui ressemble même de loin à cet événement.

Mais cette marche en direction du sud a été marquée par un drame. Lorsque les chasseurs Amérindiens arrivèrent en Amérique, les deux continents fourmillaient de grands mammifères qui sont à présent éteints : il y avait de mammouths, des mastodontes, ressemblant aux éléphants, des paresseux terrestres, pesant jusqu’à trois tonnes, des glyptodontes, ressemblant à des tatous, et pesant jusqu’à une tonne, des castors de la taille d’un ours, des tigres à dents de sabre et des lions, des guépards, des chameaux, des chevaux, particuliers à l’Amérique, et bien d’autres encore. Si ces animaux avaient survécu, les touristes d’aujourd’hui pourraient voir, dans le parc national du Yellowstone, des mammouths et des lions, en plus des ours et des bisons. La question de savoir ce qui s’est passé, au moment de la rencontre des chasseurs indiens et de cette faune, reste vivement débattue chez les archéologues et les paléontologistes. Selon l’interprétation qui, à mes yeux, est la plus vraisemblable, les chasseurs humains ont livré une «guerre éclair» aux grands mammifères, qu’ils ont rapidement exterminés, peut-être en une dizaine d’années, dans chacun de leur territoires de chasse successifs. Si cette façon de voir est exacte, il se serait donc produit, il y a 11 000 ans en Amérique, l’extinction la plus massive depuis la chute de l’astéroïde qui a éliminé les dinosaures il y a 65 millions d’années. Cet épisode représenterait également la première de la série de guerres éclair exterminatrices d’espèces animales qui entachent notre supposé âge d’or, et qui nous caractérisent de façon distincte en tant qu’espèce depuis lors.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 592-594

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Mécanisme de l'agressivité entre nations; Laborit

L’agressivité guerrière entre nations semble posséder des mécanismes assez analogues à ceux de l’agressivité entre deux individus. Elle résulte ainsi de l’impossibilité pour une nation donnée de continuer ses actions gratifiantes, économiques en général. Le plus souvent c’est le groupe dominant de cette nation qui ne peut se gratifier, mais il parvient, puisqu’il est détenteur des moyens de diffusion de l’information, à faire croire à l’ensemble national que son intérêt privé est l’intérêt national et à susciter « l’union sacrée ». Jusqu’ici, il ne semble pas qu’une ouverture horizontale entre classes fonctionnelles de deux nations en imminence de conflit ait jamais pu s’opposer efficacement au déclenchement du conflit. Cependant, dans certains cas l’origine de celui-ci paraît être attribuable à une nation dominante. Comme l’individu dominant, la nation dominante paraît dénuée d’agressivité. Elle se satisfait de sa dominance. Mais comme l’individu dominant elle a immédiatement tendance à étendre son information-structure, son style de vie, considérant que tout le monde doit l’accepter, l’admirer, le partager. Toute structure socio-économique différente de la sienne représente, pour une nation dominante, une structure « barbare » et puisque la sienne lui a permis d’accéder à la dominance, les autres doivent l’imiter et pour cela accepter son « leadership ». Elle a aussi tendance à étendre son emprise économique et à considérer que tous les biens de ce monde lui sont dus, sont sa propriété. En échange, elle fournit son amitié, sa protection, et quelques broutilles à consommer. Ceux qui n’acceptent pas cette soumission sont évidemment des hérétiques, des « méchants », qui doivent être punis car ils menacent la paix du monde dont elle est gardienne. Toute contestation, tout essai de dégagement économique ou structurel déclenche immédiatement de sa part des représailles guerrières. Ces représailles sont toujours justifiées, elles défendent une cause juste, en général la liberté, car la liberté ne peut s’obtenir évidemment que dans l’acceptation de la dominance.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg297

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Facteurs de pérénité d'une civilisation; Diamond

Comment, dès lors, concilier les récentes découvertes sur les catastrophes écologiques du passé, qui obligent à conclure que l’âge d’or souvent évoqué par les écologistes est vraisemblablement un mythe (assurément toutes les espèces n’ont pas été exterminées, et tous les milieux naturels n’ont pas été détruit, de sorte que les désastres du passé n’ont pas eu un caractère total), avec la conservation des espèces observée chez de très nombreux peuples préindustriels d’aujourd’hui ?

On peut considérer que les vieilles sociétés égalitaristes de petite dimension ont tendu à inventer des pratiques écologiques (visant à la conservation des milieux et des espèces), parce que au fil de leur longue histoire elles ont disposé de beaucoup de temps pour bien connaître leur environnement local et percevoir où était leur propre intérêt. À l’inverse, les catastrophes sont survenues lorsque des peuples se sont mis à coloniser des milieux qu’ils ne connaissaient pas (comme les Maoris lorsqu’ils sont arrivés en Nouvelle-Zélande ou les Pascuans sur l’île de Pâques) ; ou lorsque des peuples se sont développés en bordure d’une nouvelle région et qu’ils ont été obligés de s’y introduire dès l’instant où ils avaient déterioré la région précédente (comme cela a été le cas pour les ancêtres des Indiens quand ils ont atteint l’Amérique) ; ou lorsque des peuples ont acquis une nouvelle technologie et qu’ils n’ont pas eu le temps d’en mesurer les potentialités destructrices (comme c’est le cas actuellement des Néo-Guinéens qui sont en train de décimer les populations de pigeon avect des fusils de chasse). On peut également dire que des catastrophes ont également toutes chances de se produire dans les États centralisés où la richesse est concentrée entre les mains de souverains qui n’ont pas de contact personnel avec l’environnement. Et certaines espèces et certains biotopes sont plus vulnérables que d’autres : pour les espèces, cela a été le cas des oiseaux ne volant pas et n’ayant jamais rencontré d’êtres humains (tels les moas ou les aepyornis). Pour les biotopes, cela a été le cas de milieux secs, fragiles et ne tolérant aucune déterioration, au sein desquels les civilisations méditerranéenne ou anasazi se sont développées.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 586-587

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Aucune population ne peut croître indéfiniment; Diamond

Certaines populations animales se sont elles-mêmes condamnées à l’extinction en détruisant totalement leur ressources. Vingt-neuf rennes ont été introduits en 1944 sur l’île de Saint Matthew dans la mer de Béring. Ils s’y sont multipliés jusqu’à ce qu’en 1963 leurs descendants atteignent le nombre de 6000. Mais ces animaux se nourrissent de lichens à croissance lente. Sur l’île de Saint-Matthew, la population de ce végétal n’a pas eu la possibilité de se régénérer, à la suite du broutage des rennes, car il était impossible à ce dernier de migrer. Lorsque survint en 1963-1964 un hiver particulièrement rude, tous les animaux moururent à l’exception de 41 femelles et d’un mâle stérile : cette population était donc condamnée à s’éteindre à plus ou moins brève échéance, sur cette île jonchée de squelettes. Un exemple similaire s’est produit avec l’introduction du Lapin dans l’île de Lisianski, à l’ouest de Hawaï, dans la première décennie de ce siècle. En moins de dix ans, ces rongeurs se sont condamnés à l’extinction, dans la mesure où ils ont consommé toutes les plantes de l’île, à l’exception de deux pieds de volubilis et d’une planche de pied de tabac.

Ces exemples de suicide écologique, ainsi que d’autres similaires, ont donc porté sur des populations qui ont soudainement été libérées des facteurs habituels régulant leurs effectifs. Les lapins et les rennes sont normalement la proie de prédateurs, et de plus, les rennes se servent sur les continents de la migration comme d’un régulateur qui les faitr quitter une région, de sorte que celle-ci peut régénérer sa végétation. Mais les îles de Saint Matthew et de Lisianski n’avaient pas de prédateurs, et la migration y était impossible, de sorte que les rennes, de même que les lapins, se nourrissent et se reproduisent sans que rien ne viennent les freiner.

Or, à l’évidence, l’espèce humaine entière s’est elle aussi, récemment affranchie des anciens facteurs limitant ses effectifs. Nous ne sommes plus soumis aux prédateurs depuis longtemps : le médecine du XXème siècle a considérablement la mortalité due aux maladies infectieuses ; et certaines des pratiques majeures de limitation de la démographie, comme l’infanticide, la guerre chronique et l’abstinence sexuelle, sont devenues socialement inacceptables. La population humaine mondiale double à peu près tout les 35 ans. Certes, cela ne représente pas une vitesse d’accroissement démographique aussi élevée que celle du renne à Saint-Matthew. L’île Terre est plus grande que l’île de la mer de Béring, et certaines de nos ressources sont plus renouvelables que les lichens (mais ce n’est pas le cas de toutes, comme le pétrole notamment). Toutefois, l’enseignement fourni par le cas du renne à Saint-Matthew reste à prendre en considération : aucune population ne peut croître indéfiniment.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 545-547

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Indiens et politique Américaine ; Diamond

Il n’est pas inutile de rappeler quelques points de vue défendus par des hommes politiques américains :

George Washington (1732-1799), premier président des États-Unis:«L’objectif immédiat est la destruction totale de leurs villages et de leurs terres. Il faudra absolument réduire à néant leur futures récoltes et les empêcher d’en préparer d’autres.»

Benjamin Franklin (1706-17770) : «S’il entre bien dans les desseins de la Providence que ces sauvages soient balayés afin de laisser place aux cultivateurs de la terre, il ne semble pas improbable que le moyen pour y parvenir soit les boissons alcoolisées.»

Thomas Jefferson (1746-1826), troisième président des États-Unis : «Cette malheureuse race, que nous avons eu tant de mal à sauver et à civiliser, s’est, de façon inatendue, rebellée et livrée à des actes barbares. Ce faisant, elle a justifié son extermination et attend à présent que nous décidions de son destin.»

James Monroe (1758-1831), cinquième président des États-Unis:«La vie à l’état sauvage demande de pratiquer la chasse sur un territoire bien plus grand qu’il n’est compatible avec le progrès et les justes prétentions de la vie civilisée […..] elle doit donc s’effacer devant celle-ci.»

John Quincy Adams (1767-1848), sixième président des États-Unis:«Quel droit un chasseur a-t-il sur une forêt de mille kilomètres de long, dans laquelle il s’est aventuré par hasard pour y rechercher des proies?»

Andrew Jackson (1767-1845), septième président des États-Unis:«Ils n’ont ni l’intelligence, ni l’assiduité au travail, ni le comportement moral, ni le désir de s’améliorer, toutes choses qui seraient essentielles pour que leur condition évolue dans un sens favorable. Contemporains d’une autre race qui leur est supérieure, incapables de se rendre compte d’où vient leur infériorité et de chercher à y remédier, ils doivent donc nécessairement de plier à la force des circonstances et disparaître rapidement.»

John Marshall (1755-1835), président de la cour suprême des États-Unis:«Les Idiens qui habitaient ce pays étaient des sauvages, essentiellement occupés à se faire la guerre, et tirant leur subsistance de la forêt [….] La loi qui régit, et doit obligatoirement régir en général, les rapports entre le vainqueur et le vaincu ne pouvait pas s’appliquer à ce peuple dans ces circonstances. La découverte de l’Amérique par les Européens a donné à ces derniers le droit exclusif de mettre fin, par le biais d’achat de terres ou de conquête, au titre d’occupants qu’avaient les Indiens.»

William Henry Harrison (1773-1841), neuvième président des États-Unis:«Est-ce que l’une des plus belles partie du globe doit rester dans l’état de nature, une terre hantée par quelques fieffés sauvages, alors qu’elle semble être destinée par le Créateur à entretenir une vaste population, et à devenir le siège de la civilisation.»

Théodore Roosevelt (1858-1919), 26ème président des États-Unis:«Le colon et le pionnier avaient fondamentalement la justice de leur côté ; ce grand continent ne pouvait pas rester simplement à l’état de réserve de chasse pour d’ignobles sauvages.»

Général Philip Sheridan (1831-1888):«Les seules bons Indiens que j’aie jamais vu étaient des Indiens morts.»

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; note de bas de page p 527-529

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Signal d'alarme de scientifiques, La terre est notre seul foyer!

Evolution des émissions de CO2[/caption] © Carbon Global Project Pour Corinne Le Quéré, de l’université britannique d’East Anglia, selon des propos rapportés par l’AFP : « c’est une grande déception. Avec 41 millards de tonnes de CO2 émis estimés pour 2017 [si l’on ajoute la déforestation, NDLR], on risque de manquer de temps pour garder la température sous 2 °C, et a fortiori 1,5 °C ». D’ailleurs, l’objectif très enthousiaste de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C lors des accords de Paris en 2015 semble de plus en plus hors d’atteinte. Cet été, des chercheurs annonçaient même qu’il n’y aurait que 5 % de chances de le limiter à 2 °C. Le changement climatique provoqué par une hausse des émissions de gaz à effet de serre n’est qu’un des périls qui assombrit l’avenir de l’humanité et bien sûr avec elle, de la vie sur Terre. Affectés désormais par les perturbations créées par le réchauffement global dont nous sommes responsables, les écosystèmes sont aussi violemment impactés par leur destruction frontale par l’Homme depuis plusieurs siècles : déforestation, braconnage, exploitation minière, artificialisation des sols, agriculture intensive et usages massifs de pesticides… Sans oublier les océans et la vie marine. Tous les voyants passent au rouge. « Nous avons déclenché un phénomène d’extinction de masse, le sixième en 540 millions d’années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement », déplorent les 15.000 signataires. Un grand nombre de vertébrés et invertébrés, terrestres et marins, sont en danger d’extinction. Nous avons appris il y a quelques semaines que la population d’insectes volants s’est effondrée de 75 % en 30 ans en Allemagne. Un chiffre que l’on peut élargir à l’Europe où les conditions sont similaires sur de nombreux territoires. Leur perte est non seulement dommageable pour la pollinisation mais aussi pour l’ensemble de la chaîne alimentaire, avec les conséquences que l’on peut craindre. Interrogé par Le Monde, le biologiste Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, rappelle une évidence : « La biodiversité, nous en faisons partie : la nature, c’est nous. Nous ne sommes pas à côté d’elle. Dès que l’on admet cela, on comprend que détruire les écosystèmes revient à s’auto-agresser, qu’opposer la protection de la nature d’un côté à la création d’emplois et au court terme économique de l’autre est d’une totale stupidité ».   Pas plus tard qu’il y a huit jours, le célèbre physicien Stephen Hawking déclarait lors d’une conférence que si nous ne faisons rien, la Terre serait inhabitable dans un avenir proche, en proie à une surpopulation, des terres devenues incultivables et un épuisement croissant des ressources naturelles. Il exhortait l’humanité à préparer l’exploration interstellaire. Depuis la signature du premier appel en 1992, la population mondiale a augmenté de 35 % (nous sommes à présent 7,6 milliards, selon les derniers chiffres des Nations Unies de juin 2017), ce qui n’est pas sans incidences sur les ressources comme l’eau douce. En effet, « le volume d’eau douce disponible par habitant a chuté de moitié » depuis les années 1960. Tout est une question de gestion des ressources. Dans Le Monde, le démographe Hervé Le Bras rappelle que « si l’ensemble de l’humanité mangeait comme les Français, les ressources de la planète permettraient de nourrir seulement 4 milliards d’humains. A contrario, avec le régime du Bangladesh, ce serait 12 milliards ». Enfin, la pression démographique s’exerce sur les milieux naturels, les fragmentant de plus en plus jusqu’à les réduire à peau de chagrin. On le voit en Amazonie ou en Indonésie, exemples les plus connus où les grandes forêts, foyers des plus riches biodiversités de la planète, sont mises en pièce — idem dans les milieux marins avec la destruction notamment des coraux en raison du réchauffement des eaux et de leur acidification — pour des monocultures (huile de palme, soja pour les animaux…), mais c’est aussi le cas dans nos campagnes où la nature laisse la place au béton (environ 236 hectares de perdus par jour en France). « Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale, et de prendre conscience que la croissance démographique rapide et continue est l’un des principaux facteurs des menaces environnementales et même sociétales. » Il sera bientôt trop tard ! Pour les chercheurs, nos seules chances de salut passent par un sursaut collectif et aussi individuel : « grâce à un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base, il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir », écrivent-ils. Et cela passe aussi par nos comportements individuels « en limitant notre propre reproduction […] et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources ». « Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec car le temps presse, conclut l’appel de 2017. Nous devons prendre conscience, aussi bien dans nos vies quotidiennes que dans nos institutions gouvernementales, que la Terre, avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer. » Xavier Demeersman, Journaliste voir son article complet sur futura-sciences.com voir la version complète en anglais sur l’American Institute of Biological Sciences]]>

Les paradoxes de la croissance à tout prix; Dix voies d'avenir pour neuf milliards d'humains ; Hance

er et 2 septembre 2012 annonce, en titre de ses pages économiques, « Zetes baisse ». La société Zetes, spécialisée dans l’identification des biens et des personnes, a enregistré pour le premier semestre 2012 un recul de 59 % de son bénéfice, qui reste tout de même de 12 millions d’euros. Ce recul de bénéfice se traduit par une baisse nette de la valeur de l’action de plus de 2 %. Bien que la société soit toujours bénéficiaire, cela signifie que les actionnaires perdent de l’argent. En d’autres termes, pour qu’une société privée soit considérée en croissance, il faut que le bénéfice croisse d’une année à l’autre. Une entreprise qui reste bénéficiaire mais moins que l’année précédente est considérée comme en recul et perd de sa valeur. Ce qui est recherché n’est plus le fait de faire du profit, mais celui d’augmenter en permanence ce profit par rapport à l’année précédente. Pour mieux faire le lien, on pourrait se placer dans la position d’un chef d’entreprise. Il faut donc qu’en continu son entreprise accroisse ses bénéfices pour qu’elle puisse survivre. On pourrait naïvement croire que pour qu’une entreprise soit viable et intéressante pour la société, il suffirait qu’elle vende assez de biens et de services pour payer son personnel, ses coûts de production et dégager un peu de marge bénéficiaire pour réinvestir et pour les périodes plus difficiles. Mais cette conception est dépassée depuis longtemps. Une entreprise n’est qu’un outil pour permettre à un investisseur d’accroître le capital qu’il a placé. Le capital doit s’accroître en permanence ou il disparaît. L’investisseur ne vit pas nécessairement de la croissance de son capital, mais il veut utiliser cette croissance pour accroître sa richesse. La notion même d’un investisseur est floue. Il peut s’agir de petits épargnants, de la classe moyenne ou de personnes particulièrement riches, également de banques, de grands fonds financiers eux-mêmes composés d’actionnaires ou d’autres groupes financiers, ou encore de fonds de pension porteur de l’argent des petits épargnants. Ils constituent des assemblées d’actionnaires qui répondent toutes à la même loi : faire pression sur les conseils d’administration pour qu’ils arrivent à augmenter la productivité, la compétitivité, et finalement le profit. Il faut assure une croissance du profit. De plus en plus, les actionnaires sont des gens ou des personnes morales qui ne sont pas concernés par la vie quotidienne de l’entreprise, par la dispute de deux chefs de services, par des sanitaires qui ne sont plus conformes ou par les émissions excessives de CO2 ou d’autres polluants. Les investisseurs ne connaissent pas la vie du personnel de l’entreprise, de ceux qui font accroître leur capital par leur simple travail. Ils ne connaissent pas leurs rêves, leurs désirs, leurs envies de vacances, leurs enfants, leurs difficultés de fins de mois et leurs craintes quand ils entendent à la radio que la croissance stagne et qu’il va falloir restructurer bien des entreprises, que leur pension risque de ne pas être assurée. Pour atteindre cet objectif permanent d’accroissement du profit, des décisions sont prises en prévision de ces étranges grand-messes que sont les assemblées d’actionnaires. Les dirigeants d’entreprises savent que s’ils ne présentent pas des résultats qui assurent aux actionnaires un retour sur capital toujours en hausse, ils jouent leur poste, leur avenir, leurs rêves, le bien-être de leur famille. Un seul credo : la croissance des bénéfices et de la valeur des actions. Ces actions peuvent être échangées, achetées, vendues en bourses, mais elles sont, en réalité, des fragments de vie humains. Oserait-on définir cette recherche d’accroissement du profit comme une sorte de monstre qui engloutit le travail de tant d’êtres humains, qui règle leur vie ? Le profit ne correspond plus à quelque chose de réel, mais à une mesure virtuelle de l’excédent produit, à ce qui est dégagé au-delà des besoins de la société. Pour qu’il y ait croissance du capital et du profit, il faut qu’il y ait croissance de la production, de la consommation des biens produits ou du revenu produit par les biens. Si ces conditions ne sont pas rencontrées, il faut une réduction des coûts de production, que l’on appelle de façon politiquement correcte un « accroissement de la productivité ». ainsi, la réduction des coûts devient croissance et donc augmentation de la valeur des actions. La consommation est à la fois un flux et une sorte de pompe qui aspire la production et la transforme en croissance économique. Qu’est-ce qui alimente la consommation ? Dans un premier temps, les besoins. Il faut du pain pour nourrir un être humain. Si la population mondiale croît, les besoins en pain croissent et donc il faut en produire plus. Plus de gens y travaillent, et cela est très bien puisqu’il y a plus de main d’œuvre disponible, tout le monde y trouve son compte. Pourtant, dans ce cas, la croissance de la consommation n’engendre pas une croissance du profit. L’accroissement de la production répond à la demande mais génère simplement un status quo dans les flux financiers. Proportionnellement, elle se borne à rencontrer les besoins. Pour qu’il y ait une croissance économique, il faut que le prix du pain augmente et que son coût de production diminue. Dans ce schéma, il n’est pas nécessaire que tout le monde ait du pain, mais il faut que le bénéfice final obtenu par unité de pain vendue s’accroisse plus rapidement que le coût de production à chaque unité de temps. Ce n’est pas grave si tout le monde n’a pas de pain et si tous les besoins ne sont pas couverts. S’il y a pénurie de pain, ou que l’on peut faire croire qu’il risque d’y avoir pénurie de pain, les gens accepteront de payer plus cher pour la même quantité. Même si certains ne le pourront pas. Pour réduire les coûts de production, on peut réduire les coûts de main-d’œuvre en remplaçant les boulangers par des machines, on peut réduire aussi le coûts des matières premières en rétribuant de moins en moins l’agriculteur par kilo de céréales produit et en s’assurant que moins d’agriculteurs produisent plus de céréales. Ils faut donc pousser de moins en moins de gens à travailler de plus en plus. Ceux qui travaillent pourront acheter le pain plus cher et même une chaîne Hi-fi, une voiture et des vacances all-inclusive. Les autres, ceux qui ne travaillent plus, recevront, dans le meilleur des cas, une allocation, revenu de base faible prélevé sur l’excès des bénéfices réalisés en vendant plus cher un pain qui coûte moins. Pour éviter de rogner sur cet excès de bénéfice, on peut aussi prélever plus d’impôts chez ceux qui travaillent encore pour payer l’allocation de ceux qui ne travaillent plus. Grâce à ces allocations, ces derniers pourront, pour la plupart, acheter leur pain, en échange de leur absence de possibilité de travail, indispensable dans une société qui doit réduire ses coûts pour assurer des excédents de bénéfices. Il est encore possible de diminuer le nombre de personnes qui reçoivent cette allocation, en leur expliquant que s’ils n’ont pas retrouvé de travail dans les six mois, c’est de leur faute et que ce n’est quand même pas à la collectivité de subvenir aux besoins de ceux qui ne veulent pas travailler. Voilà ce qui ressemble fort à une caricature et qui nous ramène à la phrase de Malthus. Pourtant, vous pourriez dire que, en réduisant le nombre de personnes nécessaires pour produire le pain, on peut libérer de la main d’œuvre pour produire les chaînes Hi-fi, que l’on pourra alors acheter grâce à l’augmentation du profit qui se traduit par une augmentation des revenus. Bien entendu, vous avez raison. Mais pour accroître les profits sur la production des chaînes Hi-fi, il faut aussi diminuer les coûts et donc le nombre de personnes qui travaillent dans ce secteur. Ou alors, on peut diminuer les cous sans diminuer le nombre de travailleurs mais en diminuant le salaires. C’est ce qu’on appelle la délocalisation. Dans ce cas les profits continuent à s’accroître en produisant des différences dans la distribution géographique des revenus et du travail. Lorsque revenus, travail et profit sont localisés à des endroits différents, c’est ce que l’on appelle la mondialisation. On peut aussi accroître son bénéfice en faisant prendre en charge une partie importante des coûts de production par d’autres de façon indirecte. Ainsi, les effets négatifs sur l’environnement comme la pollution des eaux, de l’air, la perte de biodiversité, les effets sur le climat, les conséquences sociales, les effets sur la santé, la gestion des déchets, etc. ne sont généralement pas comptabilisés comme coûts de production. Les économistes les considèrent comme des externalités. Ces coûts sont alors pris en charge par les collectivités qui doivent lever des impôts pour les satisfaire et donc diminuer le pouvoir d’achat de tout le monde. Paradoxalement, les bénéfices et l’accroissement des profits font généralement l’objet des impôts les moins élevés tout en nécessitant une répartition de la taxation sur tous ceux qui ne bénéficient pas de l’augmentation de ces bénéfices pour couvrir les coûts. La raison en est que, dans notre système économique, c’est la recherche des bénéfices qui en théorie constitue la pompe qui permet l’accroissement économique. Dans ce modèle taxer les bénéfices est donc inconcevable. En poussant le raisonnement à l’extrême, la nécessité d’une croissance continue des profits est une sorte de sous-produit du système économique dominant de notre société. Elle donne l’illusion d’un accroissement global des richesses qui se fait en réalité par une dualisation entre nantis et pauvres, entre Est et Ouest et Nord et Sud aussi. Si le profit généré pouvait être réinjecté en permanences, de manière à couvrir les besoins d’éducation, de santé, de bien-être, de reconnaissance, de travail de chacun dans la société, ce serait parfait. Mais c’est impossible, puisque cela réduirait les possibilités d’accroissement des profits en augmentant les coûts. Le profit se concentre donc dans une frange de la population qui justifie cet état parce qu’elle possède le capital, c’est elle qui prend les risques d’investissement et doit donc être rémunérée en conséquence. Dix voies d’avenir pour neuf milliards d’humains ; Thierry Hance ; Ed. Racine, 2012; Pg48-52  ]]>