Commentaires sur la glorification de Marduk; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

110.

Mais il nous reste aussi un fragment théologique, de tradition certainement ancienne, peut-être même antérieure à l’ Enûma eliš, et qui, pour mieux répondre, apparemment, au sentiment que l’on éprouvait de la supériorité ontologique des dieux en même temps que de leur hiérarchie dans l’échelle des valeurs surnaturelles, leur conférait pour symbole, indicatifs et idéogrammes, les concepts les plus immatériels et abstrait que l’on connût alors : les nombres. Celui de dix est attribué à Marduk, celui de quarante à Éa, et celui de cinquante à Enlil. Ici, non seulement Marduk apparaît « composé » en quelque sorte de sa propre valeur cumulée avec celle de son père, Éa (10+40=50), mais, tout en étant lui-même, il reçoit en fait le rôle d’Enlil, souverain des dieux et des hommes, celui-ci passant, du coup, comme Anu avant lui, au rang de deus otiosus : n’est-il pas éloquent, alors, qu’après lui avoir conféré, en « noms » divers, son propre chiffre, dix, on le porte ensuite, par une seconde surérogation, à cinquante ?

L’épopée de la création,pg 673.

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Les noms de Marduk; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Épelons donc ces cinquante noms

pour démontrer la gloire de sa personne,

et pareillement de ses oeuvres !

Et tout d’abord : Marduk, comme dès sa naissance,

l’appela son père Anu :

Le fournisseur des pacages et des aiguades,

celui qui fait regorger les étables des hommes !

Celui qui, de son arme « Déluge »,

a vaincu les fauteurs de trouble

et sauvé de leur grande détresse

les dieux, ses pères !

….

aux hommes qu’il a crées,

êtres doués du souffle,

il a imposé la corvée des dieux,

pour laisser ceux-ci de loisir !

Produire ou anéantir,

libérer ou châtier :

c’est à son gré

-eux ne font que le contempler !

Marukka : autrement-dit, le Dieu

qui les a créés, de lui-même,

pour le bonheur des Anunnaki

et le loisir des Igigi !

…..

Asalluhi, tel est le nom

que lui conféra son père Anšar :

car il est bien la lumière des dieux,

leur puissant chef de file,

……

Tels sont les désignations que les Igigi

énumérèrent tout du long.

Quand Éa les eut entendues,

son cœur exulta (et il dit) :

« Celui de qui les pères

ont glorifié les dénominations,

que son nom, à lui, comme à moi,

soit pareillement Éa !

Qu’il promeuve, en totalité,

le système de mes status,

et qu’il mette en oeuvre, lui-mêmme,

l’universalité de mes mandats! »

La glorification de Marduk, l’épopée de la création,tablette VI, v.121-126, v.129-134, v.147-148, tablette VII, v.137-142.

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Naissance de Marduk; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Une fois qu’Éa eut immobilisé

et terrassé ces malveillants,

et remporté

son triomphe sur ces adversaires,

Emmi ses appartements

il se reposa dans le plus grand calme :

il appela ce palais Apsû,

et l’on y marqua les Salles-de-cérémonie.

Là même, il établit

sa chambre nuptiale,

où Éa, avec Damkina, son épouse,

siègent en majesté.

Dans ce sanctuaire-aux-destins,

cette chapelle-aux-sorts,

fut procrée le plus intelligent,

le sage des dieux, le Seigneur :

au milieu de l’Apsû,

Marduk fut mis au monde-

au milieu du saint-Apsû,

Marduk fut mis au monde.

Le mit au monde

Éa, son père,

et accoucha de lui

sa mère, Damkina.

Il ne téta jamais

que mamelles divines :

la nourrice qui l’élevait

le fit s’emplir d’une vitalité formidable.

Sa nature était débordante ;

son regard, fulgurant ;

il était homme-fait de naissance,

et pleine force dès l’origine.

En le voyant, Anu,

le progéniteur de son père,

s’éjouit, s’éclaira

et eut le cœur plein d’aise.

Quand il l’eut détaillé :

« sa divinité est tout autre (,dit-il)

Il est bien plus sublime :

il les dépasse en tout !

Ses formes sont inouïes,

admirables,

impossibles à imaginer,

insupportables à regarder.

Quatre sont ces yeux,

et quatre sont ces oreilles.

Lorsqu’il remue les lèvres,

le feu flamboie !

Quatre oreilles

lui ont poussé,

et ses yeux, en pareil nombre,

inspectent l’univers !

C’est le plus haut des dieux,

suréminent par sa stature :

sa membrure est grandiose

-il est suréminent de naissance !

Mon enfant est un Utu (-soleil) !

Mon enfant est un Utu (-soleil) !

Mon enfant est un Soleil :

le vrai soleil des dieux !

Il est enveloppé de l’éclat surnaturel de dix-dieux,

il est subliment couronné,

et cinquante Rayonnements terrifiques

sont accumulés sur lui! »

La glorification de Marduk, l’épopée de la création, v.73-104

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Prise du pouvoir d'Éa; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Lorsque Là-haut

le ciel n’était pas encore nommé,

et qu’Ici-bas la terre ferme

n’était pas appelée d’un nom,

seuls Apsû-le-premier,

leurs progéniteur,

et mère …-Tiamat,

leur génitrice à tous,

mélangeaient ensemble

leurs eaux :

Ni bancs-de-roseaux n’y étaient agglomérés,

Ni cannaies n’y étaient discernables.

Et alors que des dieux

nul n’étaient encore apparu,

qu’ils n’étaient ni appelés de noms

ni lotis de destins,

En Apsû-tiamat les dieux

furent produits :

Lahmu et Lahamu apparurent

et furent appelés de noms.

Avant qu’ils fussents devenus

grands et forts,

furent produits Anšar et Kišar,

qui leur étaient supérieurs.

Quand ils eurent prolongé leurs jours,

multiplié leurs ans,

Anu fut leur premier-né,

Conforme à ses parents.

Comme Anšar avait fait semblable à lui

Anu, son rejeton,

Anu pareillement, à sa semblance,

procréa (Éa) Nudimmud.

Or, Nudimmud, lui.

Le futur ordonnateur de ses parents,

était large d’entendement, sage

et doué d’une force immense ;

Bien plus puissant

que le procréateur de son père, Anšar,

il n’avait point d’égal,

comparé aux dieux ses frères.

Ayant dons fermé une bande

ces dieux-frères

troublèrent Tiamat

en se livrant au remue-ménage :

Bouleversant

l’intérieur de Tiamat,

ils tracassèrent, par leurs ébats,

le dedans de l’ « Habitacle-divin ».

Apsû n’arrivait pas

à calmer leur tumulte.

Tiamat, cependant,

demeurait impassible devant eux :

leurs agissements

lui étaient désagréables,

leur conduite, blâmable,

mais elle les épargnait.

Alors, Apsû,

Le producteur des grands-dieux,

appela son Mummu

et lui dit :

« Ô Mummu, toi, mon page

qui me contentes l’âme,

Viens,

allons trouver Tiamat! »

Ils s’en allèrent donc

et, assis en présence de Tiamat,

discoururent et discutèrent

touchant les dieux, leurs rejetons.

Apsû,

ayant ouvert sa bouche,

haussa la voix

et dit à Tiamat :

« Leur conduite

m’est désagréable :

le jour, je ne repose pas ;

la nuit, je ne dors pas !

Je veux réduire à rien

et abolir leur activité,

pour que soit rétabli le silence

et que nous autres, nous dormions! »

Tiamat,

entendant cela,

courroucée,

vociféra contre son époux,

et, s’étant montée d’elle-même,

récrimina aigrement contre Apsû,

parce qu’il avait insinué

du mal en son esprit :

« Pourquoi, nous-mêmes

détruirions-nous ce que nous avons produit ?

Leur conduite est fort désagréable ?

Patientons avec bienveillance! »

Mummu prit alors la parole

pour conseiller Apsû,

tout page qu’il était, récusant

l’avis de sa génitrice :

« Abolis donc, mon père,

cette activité turbulente

pour que tu reposes le jour

et que tu dormes la nuit! »

Apsû s’en réjouit

et les-traits-de-sa-face-brillèrent,

pour le mal qu’il avait machiné

contre les dieux ses enfants :

Il entoura-de-son-bras

la nuque de Mummu,

lequel s’assit sur ses genoux,

et l’Apsû l’embrassa.

Or, tout ce qu’ils avaient machiné

en leur réunion,

on le répéta

aux dieux, leurs rejetons.

L’ayant appris,

ces dieux s’agitèrent,

puis gardèrent le silence

et demeurèrent cois.

Supérieurement intelligent,

expérimenté, subtil,

Éa qui comprend tout

perça leur plan.

A l’intention d’Apsû, il combina

et agença un projet d’ensemble :

ayant ajusté contre lui

son charme auguste le plus fort,

Il le lui récita

et, d’un philtre, le mit au repos :

le sommeil l’envahit

et il dormait béatement.

Quand il eût endormi Apsû,

envahi de sommeil,

et que Mummu-le-conseiller

fut trop hébété pour se tenir-sur-ses-gardes.

Éa détacha le bandeau-frontal d’Apsû

et ôta sa couronne ;

il confisqua son Eclat-surnaturel

et s’en revêtit lui-même ;

Puis, l’ayant terrassé,

il le mit-à-mort

et enferma Mummu,

barrant sur lui la porte.

Il établit alors sur Apsû

son habitacle,

et se saisit de Mummu

qu’il tenait par sa laisse-de-nez.

La glorification de Marduk, l’épopée de la création, v.1-72

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Première politique démographique?; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Mais lorsqu’Enlil-le-preux aperçut le bateau

il fut remplie de rage envers les Igigu, et s’exclama :

« Nous autres tous, les grands Anunnaku,

nous avions résolu ensemble de prêter serment.

D’où vient, alors, qu’un être vivant

ait échappé à la destruction ?

Comment un homme a-t-il survécu au carnage? »

Anu ouvrit la bouche

Et s’adressa à Enlil-le-preux :

« Qui donc, à part Enki,

aurait pu faire cela ?

Pour moi, je n’ai pas révélé notre propos! »

Mais enki ouvrit la bouche

et s’adressa aux grands-dieux :

« Oui ! J’ai fait cela, contre votre volonté à tous !

J’ai sauvé un être vivant ….

…..

Calme-toi ; Ô Enlil….,

La peine de ton choix, c’est au vrai coupable que tu devais l’infliger,

à quiconque avait fait fi de tes ordres! »

………

« Ils ont eu beau décider,

moi je me suis apaisé l’âme! »

Enlil ouvrit la bouche

Et s’adressa à Enki-le-prince :

« Bon ! Appelle Nintu-la -matrice,

et réfléchissez tous deux dans l’assemblée! »

Enki ouvrit alors la bouche

et s’adressa à Nintu-la-matrice :

« Ô divine matrice, toi qui arrêtes les destins,µ

impose dons aux hommes la mort

….

En sus, triple loi à appliquer aux hommes :

chez eux, outre la femme féconde,

il y aura des infécondes ;

Chez eux sévira la Démone-éteigneuse,

Pour ravir les bébés

aux genoux de leurs mères ;

institue-leur pareillement des femmes consacrées :

Ugbatu, entu, Igisîtu,

avec leur interdit particulier

pour leur défendre d’être mère !

Le poème d’Atrahasîs, ou de Supersage, tablette VI, v.5-48, tablette VII, v.1-8

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Disparaisse ce jour; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

La tempête frappait la terre,

interrompant sa rumeur comme l’on brise un pot !

Et, le déluge déchaîné,

L’anathème passa

comme la guerre sur les hommes !

Personne ne voyait plus personne :

nul n’était discernable dans ce carnage !

Le déluge mugissait comme un taureau,

et, comme un aigle qui glatit,

le vent hurlait.

Profondes étaient les ténèbres,

le soleil ayant disparu,

Les gens mouraient comme des mouches.

Le fracas du déluge

épouvantait même les dieux.

Enki était hors du sens,

à voir ses enfants emportés

sous ses yeux !

Nintu, la grande dame,

trahissait son horreur de ses lèvres,

tandis que les Anunnaku, les grands-dieux,

demeuraient là anéantis de faim et de soif.

A ce spectacle la déesse éclata en sanglots,

La sage femme divine, Mammi-l’experte :

« Disparaisse ce jour (criait-elle),

puisse-t-il retourner aux ténèbres !

Mais moi, dans l’assemblée des dieux,

comment ai-je pu, avec eux,

prendre une telle décision finale ?

Le poème d’Atrahasîs, ou de Supersage, tablette III, v.9-38

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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