Aujourd’hui
nous accaparons une grande partie des matériaux et de l’énergie
produite sur la Terre, nous exterminons les espèces et détruisons
notre environnement à un rythme toujours plus rapide, et cela ne
pourra se poursuivre ainsi encore un siècle. On objectera peut-être
qu’autour de nous il n’est nul signe évident que nous approchons
d’un moment paroxysmique dans notre histoire. En réalité, la
conscience ne peut nous en venir que d’extrapolation à partir de
signes déjà présents : la famine et la malnutrition,
la pollution
et la technologie destructrice ne cessent de croître ; les
terres arables, les ressources alimentaires de l’océan, les autres
produits naturels, de même que la capacité de l’environnement à
absorber nos rejets ne cessent de décroître. Puisque davantage
d’être humains, dotés de moyens toujours plus puissants, luttent
pour des ressources en voie de diminution, quelque obstacle va
forcément bloquer l’essor de l’espèce.
Les scénarios de l’avenir
incitent à être pessimiste. En supposant que tous les êtres
humains vivant actuellement meurent brutalement demain, les dégâts
que l’espèce a déjà infligés à son environnement sont à ce
point importants que la dégradation de poursuivrait encore pendant
des décennies. D’innombrables espèces ont disparu ou sont en voie
de le faire, tant leur population est tombée à un niveau inférieur
à la possibilité d’un renouvellement naturel.
En dépit de tous nos
antécédents dans le domaine de l’autodestruction, dont la leçon
pourrait être tirée, la destruction de l’environnement comme la
croissance démographique sont loin d’apparaître à tous comme des
fléaux réels, pour ne rien dire de l’état de misère de
population contraintes à la survie et pour lesquelles les
préoccupations écologiques sont proprement un luxe. Le rouleau
compresseur de la destruction est lancé à une vitesse telle que
rien ne pourra l’arrêter : l’animal humain, troisième
chimpanzé, est désormais en tant qu’espèce lui aussi menacé.
Son avenir n’est guère plus radieux que celui des deux autres
chimpanzés.
Vision pessimiste, dira-t-on. Elle semble étayée par une petite phrase, écrite en 1912, dans un contexte différent, par l’universitaire et explorateur hollandais Arthur Wichmann. Ayant consacré dix ans de sa vie à la rédaction d’un important traité en trois volume sur l’histoire de l’exploration de la Nouvelle-Guinée, qui recense au fil de quelque 1198 pages toutes les informations sur cette île qu’il avait glanées, depuis les plus anciens récits transmis par le truchement de l’Indonésie jusqu’au grandes expéditions du XIXème siècle et du début du XXème siècle, Arthur Wichmann était parvenu à la conclusion que tous les explorateurs sans exception n’avaient eu de cesse de commettre les mêmes erreurs stupides : à l’orgueil démesuré dans le récit de leur exploits s’ajoutait le refus de reconnaître leurs désastreux échecs ou de prendre en compte l’expérience de leurs prédécesseurs. En sorte que l’histoire de l’île n’était, vue sous cet angle, que la répétition d’erreurs commises dans le passé, occasionnant inutilement des maux et des morts. Wichmann ne doutait pas qu’à l’avenir les explorateurs continueraient à répéter les mêmes erreurs. En sorte qu’il pouvait dire d’eux:«Ils n’auront rien appris et tout oublié.»
On
ne saurait toutefois sous-estimer un élément dans le fait que notre
espèce est la seule responsable de ses problèmes : elle seule
détient les moyens de leur résolution. Or, s’il est vrai que
l’aptitude au langage et la pratique de l’art et de l’agriculture
ne sont pas tout à fait uniques
dans l’ensemble du règne animal, l’animal humain demeure
réellement unique par sa capacité à apprendre à s’adapter en
tirant les enseignements de l’expérience vécue par d’autres
membres de son espèce en des lieux éloignés de lui ou dans un
passé lointain. De fait, l’espoir peut se nourrir de quelques
signes : des propositions réalistes ont souvent été avancées,
ces dernières années, dans le but d’essayer l’éviter le
désastre, comme la limitation de l’essor démographique, la
préservation des milieux naturels et l’adoption de mesure de
toutes sortes pour la sauvegarde de l’environnement. Nombreux sont
les gouvernements qui ont déjà mis en œuvre certaines de ces
mesures évidentes, dans le cadre de cas particuliers. La prise de
conscience des problèmes écologiques se développe, et les
mouvements écologistes gagnent en influence politique. De nombreux
pays ont ralenti leur croissance démographique dans les récentes
décennies. La pratique du génocide n’a pas disparu, mais le
développement des technologies de la communication peut contribuer à
réduire les penchants xénophobes traditionnels de l’espèce et sa
tendance à considérer les êtres humains vivant dans des pays
éloignés comme différents, voire inférieurs.
Jared Diamond ; Le
troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992 ; p 638-641