Nouvelle définition de l’Homme ; Laborit.

l faut propager au plus vite cette notion que l’homme « n’est » pas une force de travail, mais une structure qui traite l’information et qui se trouve être également une source nouvelle d’information. Qu’une partie de celle-ci lui serve à transformer la matière et l’énergie aboutisse à la création d’objets, que ceux-ci aient avant tout une valeur d’usage, avant d’avoir une valeur d’échange, cette dernière assurant d’abord le maintien de la dominance, est admissible. Mais que cette information que sécrète son cerveau imaginant lui serve exclusivement à produire des objets, des marchandises, c’est là qu’est l’erreur fondamentale qu’ont entretenue les idéologies socio-économiques contemporaines. Il est grand temps que l’homme réalise que cette information doit avoir avant tout pour objet la création d’informations-structures sociales qui ne soient plus centrés sur le processus de production matérielle. Puisque la masse et l’énergie ont perdu une grande partie de leurs secrets, n’est-ce pas les secrets de l’information-structure biologico-sociale qui doivent être la plus pressante des préoccupation ? Après avoir passé des siècles à étudier scientifiquement, c’est-à-dire expérimentalement la matière inanimée, ne serait-il pas temps qu’il commence de la même façon à étudier, enseigner, généraliser, diffuser les lois structurales de la matière vivante jusqu’aux ensembles humains, en abandonnant à son sujet les discours interprétatifs concernant le signifié dans l’ignorance où il était du signifiant ?

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 329-330

Besoins fondamentaux et acquis; Laborit

L’avenir que nous proposons apparaît trop beau pour être réalisable. Et cependant, une réflexion logique permet de trouver des arguments solides pour affirmer qu’il demeure possible. En effet, à partir du moment où l’évolution économique, c’est-à-dire la façon dont la technique de l’homme fruit de son imagination et de son expérience accumulée au cours des générations, lui permet une utilisation extrêmement efficace de la matière et de l’énergie, de telle façon que les besoins fondamentaux de tous les hommes puissent être assouvis, si la répartition en est correctement faite, tous ses autres besoins sont socioculturels et acquis par apprentissage. La notion de propriété des objets et des êtres, celle de dominance hiérarchique par le degré d’abstraction dans l’information professionnelle, celle de la nécessité première du travail producteur des produits de consommation, la notion de promotion sociale, d’égalité des chances de consommer, jusqu’à l’origine première pour chaque individu de la création de ces automatismes socioculturels. Il suffit donc d’apprendre autre chose (j’irai jusqu’à dire l’inverse) dès les premiers jours, les premiers mois, les premières années de l’enfance pour que ces notions si solidement établies n’aient plus de sens. Il suffirait de remplacer ces automatismes par une information généralisée, telle que nous en avons schématisé plus haut les méthodes et les objets, pour que tout change.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 326-327

La polyconceptualité ; Laborit

Pour aborder la polyconceptualité il est surtout utile, nous l’avons vu, de posséder une structure mentale ouverte, capable d’organiser les connaissances sans pouvoir les cloîtrer. Une fois de plus, nous retrouvons la distinction entre thermodynamique et information. Le technicien d’une discipline utilise son information pour réaliser une action thermodynamique, mettre en jeux une technique, alors que le polyconceptualiste peut ne manipuler que de l’information, si son expérience de la thermodynamique à l’intérieur d’une discipline lui a appris à joindre le geste à la parole et à les accorder ensemble.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 316

Le revers de la médaille de l’apprentissage ; Laborit

Une fois de plus répétons que l’apprentissage est indispensable, mais aussi dangereux par la certitude qu’il peut donner de tout connaître et parce qu’il façonne le système nerveux de façon si rigide qu’il est souvent bien difficile de tracer un nouveau réseau de relations synaptiques à partir de ce réseau si bien fixé.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 315

Ils n’auront rien appris et tout oublié; Diamond

Aujourd’hui nous accaparons une grande partie des matériaux et de l’énergie produite sur la Terre, nous exterminons les espèces et détruisons notre environnement à un rythme toujours plus rapide, et cela ne pourra se poursuivre ainsi encore un siècle. On objectera peut-être qu’autour de nous il n’est nul signe évident que nous approchons d’un moment paroxysmique dans notre histoire. En réalité, la conscience ne peut nous en venir que d’extrapolation à partir de signes déjà présents : la famine et la malnutrition, la pollution et la technologie destructrice ne cessent de croître ; les terres arables, les ressources alimentaires de l’océan, les autres produits naturels, de même que la capacité de l’environnement à absorber nos rejets ne cessent de décroître. Puisque davantage d’être humains, dotés de moyens toujours plus puissants, luttent pour des ressources en voie de diminution, quelque obstacle va forcément bloquer l’essor de l’espèce.

Les scénarios de l’avenir incitent à être pessimiste. En supposant que tous les êtres humains vivant actuellement meurent brutalement demain, les dégâts que l’espèce a déjà infligés à son environnement sont à ce point importants que la dégradation de poursuivrait encore pendant des décennies. D’innombrables espèces ont disparu ou sont en voie de le faire, tant leur population est tombée à un niveau inférieur à la possibilité d’un renouvellement naturel.

En dépit de tous nos antécédents dans le domaine de l’autodestruction, dont la leçon pourrait être tirée, la destruction de l’environnement comme la croissance démographique sont loin d’apparaître à tous comme des fléaux réels, pour ne rien dire de l’état de misère de population contraintes à la survie et pour lesquelles les préoccupations écologiques sont proprement un luxe. Le rouleau compresseur de la destruction est lancé à une vitesse telle que rien ne pourra l’arrêter : l’animal humain, troisième chimpanzé, est désormais en tant qu’espèce lui aussi menacé. Son avenir n’est guère plus radieux que celui des deux autres chimpanzés.

Vision pessimiste, dira-t-on. Elle semble étayée par une petite phrase, écrite en 1912, dans un contexte différent, par l’universitaire et explorateur hollandais Arthur Wichmann. Ayant consacré dix ans de sa vie à la rédaction d’un important traité en trois volume sur l’histoire de l’exploration de la Nouvelle-Guinée, qui recense au fil de quelque 1198 pages toutes les informations sur cette île qu’il avait glanées, depuis les plus anciens récits transmis par le truchement de l’Indonésie jusqu’au grandes expéditions du XIXème siècle et du début du XXème siècle, Arthur Wichmann était parvenu à la conclusion que tous les explorateurs sans exception n’avaient eu de cesse de commettre les mêmes erreurs stupides : à l’orgueil démesuré dans le récit de leur exploits s’ajoutait le refus de reconnaître leurs désastreux échecs ou de prendre en compte l’expérience de leurs prédécesseurs. En sorte que l’histoire de l’île n’était, vue sous cet angle, que la répétition d’erreurs commises dans le passé, occasionnant inutilement des maux et des morts. Wichmann ne doutait pas qu’à l’avenir les explorateurs continueraient à répéter les mêmes erreurs. En sorte qu’il pouvait dire d’eux:«Ils n’auront rien appris et tout oublié.»

On ne saurait toutefois sous-estimer un élément dans le fait que notre espèce est la seule responsable de ses problèmes : elle seule détient les moyens de leur résolution. Or, s’il est vrai que l’aptitude au langage et la pratique de l’art et de l’agriculture ne sont pas tout à fait uniques dans l’ensemble du règne animal, l’animal humain demeure réellement unique par sa capacité à apprendre à s’adapter en tirant les enseignements de l’expérience vécue par d’autres membres de son espèce en des lieux éloignés de lui ou dans un passé lointain. De fait, l’espoir peut se nourrir de quelques signes : des propositions réalistes ont souvent été avancées, ces dernières années, dans le but d’essayer l’éviter le désastre, comme la limitation de l’essor démographique, la préservation des milieux naturels et l’adoption de mesure de toutes sortes pour la sauvegarde de l’environnement. Nombreux sont les gouvernements qui ont déjà mis en œuvre certaines de ces mesures évidentes, dans le cadre de cas particuliers. La prise de conscience des problèmes écologiques se développe, et les mouvements écologistes gagnent en influence politique. De nombreux pays ont ralenti leur croissance démographique dans les récentes décennies. La pratique du génocide n’a pas disparu, mais le développement des technologies de la communication peut contribuer à réduire les penchants xénophobes traditionnels de l’espèce et sa tendance à considérer les êtres humains vivant dans des pays éloignés comme différents, voire inférieurs.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992 ; p 638-641

L’archéologie au secours du futur; Diamond

Peut-on tirer des leçons pratiques de ces récentes découvertes archéologiques ? On considère souvent que l’archéologie est une discipline universitaire sans grande importance pour la société ; en raison de ce statut, son budget est le premier à être réduit dès qu’il faut diminuer les dépenses allouées par le gouvernement à l’éducation. La recherche archéologique est cependant l’un des meilleurs outils de prédiction et d’évaluation dont puissent disposer les autorités. Nous sommes actuellement en train de lancer dans programmes de développement susceptibles de provoquer des dégâts irréversibles. Or, ils ne représentent que la réalisation, sur une plus grande échelle et avec plus d’efficacités, de programmes déjà exécutés dans le passé. Nous ne pouvons assurément pas nous permettre de faire des expériences consistant à laisser se développer cinq régions de cinq façon différentes pour voir lesquelles vont courir au désastre et lesquelles vont s’épanouir. En revanche, il est beaucoup moins coûteux et risqué de financer des recherches archéologiques ayant pour mission de découvrir comment tel développement économique ou technologique s’est inversé en catastrophe et de comprendre comment ne pas répéter les mêmes erreurs.

Un exemple éclairera mon propos. Le Sud-Ouest américain possède plus de deux cent cinquante mille kilomètre carré de forêts de pin pignons et de genévrier que nous sommes en train d’exploiter de plus en plus sous forme de bois de chauffage. Malheureusement, les services forestiers des États-Unis ne disposent pratiquement pas de données qui puissent les aider à calculer le rythme des prélèvements admissibles, en fonction du rythme de régénération de ce type de forêt. Or, les Anasazi ont déjà réalisé cette expérience jadis et se sont trompés, de sorte que cette végétation ne s’est toujours pas rétablie dans le Chaco Canyon, après 800 ans. Il serait moins coûteux de financer des recherches archéologiques pour retrouver à quel rythme les Anasazi ont consommé leur bois de chauffage que de commettre la même erreur qu’eux et transformer une région de 250 000 kilomètres carrés en désert, comme nous sommes peut-être en train de le faire aujourd’hui.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 587-589

]]>

Ne s'adresser qu'à l'affectivité des masses, qu'à leurs automatismes culturels, c'est rabaisser les individus ; Laborit

Il faut avouer que c’est vraiment mépriser ces masses que de les croire incapables de progrès conceptuels et définitivement automatisées par un langage stéréotypé, des slogans éculés, motivés irrémédiablement par leur seul intérêt digestif, l’appétit de consommation. Ne s’adresser qu’à l’affectivité des masses, c’est rabaisser les individus qui les constituent au rang des espèces qui nous ont précédés et se « servir » d’eux pour asseoir un pouvoir et des privilèges nouveaux.

Certes, il faut mobiliser les masses, mais il faut les mobiliser contre toute structure hiérarchique de dominance, toute structure fermée, figée, sclérosée, analytique et non synthétique, contre celles existantes, mais aussi contre celles qui pourraient survenir. Et pour mobiliser, pour les motiver, il est préférable de s’adresser à leur raison qu’à leur pulsions ou leurs automatismes culturels, ou du moins il faut les motiver raisonnablement. Il faut que leur pulsions fondamentales les amènent à raisonner les mécanismes d’établissement et le contenu de leurs automatismes.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg292

]]>

Protéger cette capacité à traiter l'information et à créer en dehors des apprentissages automatiques, des réflexes conditionnés ; Laborit

Par contre ce qui m’intéresse, c’est une réalité nouvelle dans la conscience que nous avons : l’homme est un animal, le seul, qui sache traiter l’information et en créer grâce à son cerveau associatif. C’est cela qu’il faut non seulement protéger de tous les apprentissages automatiques, de tous les réflexes conditionnés, mais que nous devons avant tout favoriser. Il est donc urgent, avant de leur apprendre à manipuler la masse, d’apprendre à l’adolescent ce qu’est l’information, comment et pourquoi le système nerveux, commun à l’espèce, l’utilise. Leur apprendre enfin que cette utilisation peut servir à faire des objets, mais aussi et peut-être surtout, à se connaître, à se situer dans l’ensemble cosmique, dans leurs rapports avec les autres. L’adéquation à la vie, au réel, ne me semble pas devoir en souffrir, mais au contraire en être facilitée.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg290

]]>

Du temps libre pour s'informer-2 ; Laborit

L’information généralisée n’a pas sa place seulement à l’école ou à l’université, mais aussi au sein de tous les groupes humains au cours du processus de production. Imaginons que chaque homme au travail puisse bénéficier chaque jour, de 17 à 65 ans, âge de sa retraite, de deux heures pour s’informer. S’informer des problèmes qui se posent aux niveaux d’organisation de l’entreprise où il travaille, mais aussi à tous les niveaux d’organisation sus-jacents qui englobent cette entreprise : niveau municipal, urbain, régional, national, international, planétaire. Supposons qu’il puisse aborder ces problèmes non point avec la seule aide de l’ »analyse » rationnelle, mais qu’il puisse faire aussi la part dans son discours et dans celui des autres de l’inconscient des engrammations socioculturelles, des préjugés et jugements de valeurs, individuels et de classe. Supposons qu’il apprenne ainsi à se méfier de ses propres comportements, comme de ceux des autres. Supposons enfin qu’une information non dirigée, multidisciplinaire et vulgarisatrice, lui soit fournie, dépourvue de certitude affective et de dogmes, d’affirmations gratuites mais présentées comme « scientifiques » pour faire sérieux et s’imposer plus facilement, qu’une information constamment contradictoire lui soit fournie aux lieux mêmes de réunion dans l’entreprise, mais aussi par l’intermédiaire des mass média et dans son groupe de résidence, on imagine mal la richesse du matériel mémorisé que son cortex orbito-frontal aurait alors à sa disposition. Utopie peut-être, mais vers laquelle on pourrait au moins tendre ; Henry Laborit ; La nouvelle grille.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 287-288

]]>

La combinatoire conceptuelle analogie à la combinatoire génétique ; Laborit

Comme la combinatoire génétique, elle doit permettre la combinatoire conceptuelle interindividuelle au lieu de favoriser un eugénisme conceptuel, un racisme conceptuel contraire à toute l’évolution biologique. Notons d’ailleurs qu’à partir de l’hypothèse de travail, lorsque l’ensemble l’a discutée ou formulée, seule la base est susceptible de pouvoir expérimenter.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg282

]]>