Elle se rongeait du désir
de voir sa fille au vaste giron.
C’est une année effroyable
sur la terre nourrice
qu’elle imposa aux humains, et cruelle.
Déméter la Couronnée
tenait la semence cachée.
Aucune pousse ne paraissait.
Plus d’une fois les vaches tirèrent
la charrue dans les champs. En vain.
Plus d’une fois l’orge blanc
tomba dans la terre en pure perte.
Elle allait disparaître tout à fait,
la race des hommes éphémères,
à cause de la faim sinistre
et ceux qui habitent sur l’Olympe
n’auraient plus reçu d’honneurs,
de cadeaux et de sacrifices,
si Zeus n’avait pas réfléchi,
et médité au fond de son cœur.
Il envoya d’abord Iris
qui a des ailes dorées
vers Déméter aux longs cheveux,
belle, désirable mille fois.
Il dit. Et elle à l’ordre
de Zeus Nuages-Noirs le Kronide
obéit et à toutes jambes
elle traversa tout l’intervalle.
Elle arriva à la ville
d’Éleusis aux bonnes senteurs,
elle trouva dans son temple
Déméter sous sa mante noire.
Elle lui parla. Elle dit
ces paroles qui ont des ailes :
« Déméter, Zeus le père
qui sait des secrets éternels
t’appelle : reviens dans la famille
des dieux qui vivent toujours.
Viens, que ne soit pas vaine
ma parole qui est de Zeus. »
Voici ce qu’elle dit, suppliante,
mais sans pouvoir la persuader.
La père alors dit aux dieux bienheureux,
à ceux qui vivent toujours,
d’aller la prier tous. Un par un,
chacun son tour ils y allaient,
ils l’appelaient, lui promettaient
des cadeaux magnifiques,
tous les honneurs qu’elle voudrait
auprès de ceux qui ne meurent pas.
Mais personne ne pouvait
fléchir son cœur et son esprit,
car elle était fâchée.
Elle refusait durement leurs offres.
Elle proclama que jamais
elle n’irait sur l’Olympe
aux bonnes senteurs, que jamais
elle ne ferait naître les fruits
tant qu’elle n’aurait pas vu
de ses yeux sa fille au doux regard.
Lorsque Zeus l’eut entendue,
lui qui gronde au loin, lui le Voyant,
il envoya vers l’Érèbe
l’Argeïphontès1 à la baguette d’or,
pour que par des douces paroles
il persuade Hadès
de laisser Perséphone la Pure
quitter la brûle et les ténèbres
et monter vers la lumière, vers les dieux,
pour que sa mère
puisse la voir de ses yeux
et fasse cesser sa colère.
Hermès obéit ;
dans les profondeurs de la terre
vite il descendit,
quittant la maison de l’Olympe.
Il trouva le Seigneur
à l’intérieur de sa maison,
assis sur un lit
avec son épouse timide
(elle était là à contrecœur ;
elle regrettait sa mère,
qui songeait à se venger
de ce que lui avaient fait les dieux).
Argeïphontès le fort
s’approcha tout près et leur dit :
« Hadès aux cheveux noirs,
seigneur de ceux qui ont péri,
Zeus le père m’a chargé
de mener la belle Perséphone
hors de l’Érèbe, vers les dieux,
pour que sa mère la voie
de ses yeux et fasse cesser
sa colère affreuse et sa fureur
contre ceux qui ne meurent pas.
Elle a le grand projet
d’anéantir les tribus chétives
des hommes nés de la terre,
en cachant sous terre le grain
en supprimant les honneurs
qui nourrissent ceux qui ne meurent pas.
Sa colère est affreuse.
Elle ne veut plus voir les dieux.
Dans son temple, parmi les senteurs,
elle s’enferme toute seule, et règne
sur Éleusis la rocheuse. »
Voila ce qu’il dit ; le seigneur des morts,
Aïdoneus, en souriant
leva le sourcil et obéit
à l’édit de Zeus le roi.
Sans attendre il donna ses ordres
à Perséphone la sage :
« Va, Perséphone, va la voir
ta mère aux voiles noirs.
Que ton cœur soit sage dans ta poitrine,
serein ton esprit.
Ne te laisse pas aller
à une tristesse trop grande.
Je ne suis pas un époux méprisable
parmi les immortels.
Je suis le frère de Zeus le père.
Si tu restes ici,
tu commanderas à tout ce qui vit,
à tout ce qui rampe.
Tu auras les plus grands honneurs
parmi les immortels.
Tu pourras punir tous les jours
ceux qui t’auront fait du tort,
qui n’auront pas cherché à obtenir
ta grâce en t’offrant
en toute pureté des sacrifices
et tout ce qu’il convient. »
Voila ce qu’il dit.
La sage Perséphone en fut heureuse,
et dans sa joie, elle bondit
brusquement, mais il
lui donna à manger
un doux pépins de grenade,
sans qu’elle y prenne garde.
Il voulait empêcher qu’elle reste
à jamais auprès de Déméter
la vénérable aux voiles noirs.
À son char d’or il attela
sous ses yeux des chevaux
qui ne mourront pas, lui,
Aïdoneus, Maître des Foules.
Elle monta sur le char,
la fort Argeïphontès
à coté d’elle prit
dans ses mains les rênes et le fouet.
Il traversa le palais ;
les chevaux galopaient de bon cœur.
En peu de temps, ils parcoururent
un long chemin. Ni la mer,
ni l’eau des fleuves, ni les montagnes
n’arrêtèrent la course
de ces chevaux libres de mort.
Car ils fendaient l’air profond
dans leur élan vers les hauteurs.
Il les fit d’arrêter à l’endroit
où Déméter la couronnée
attendait devant son temple
pleins de bonnes odeurs. En les voyant
elle sursauta comme une ménade2
dans les taillis de la montagne.
Perséphone de son côté,
quand elle vit les beaux yeux
de sa mère quitta le char,
oublia les chevaux,
sauta, courut l’embrasser,
se pendit à son cou.
Mais elle, dès qu’elle tint
sa chère enfant dans ses bras,
comprit soudain la ruse,
fut prise d’une grande peur
et cessant de l’embrasser
lui posa la question :
« Mon enfant, n’as-tu pas,
pendant que tu étais là-bas,
mangé quelque chose ? Parle,
ne cache rien, il faut que nous sachions
si tu peux revenir
du monde d’Hadès le sinistre,
vivre avec moi et ton père,
le Kronide Maître-des-Nuages.
Et te feraient honneur
tous ceux qui ne meurent pas.
Mais si tu as mangé, tu t’en retourneras
sous la terre.
Tu habiteras là
pendant l’une des trois saisons,
et les deux autres avec moi,
avec ceux qui ne meurent pas.
Lorsque s’épanouiront
sur la terre les fleurs du printemps
avec leurs parfums divers,
tu monteras de la nuit obscure
et tu seras merveille pour les dieux
et pour les hommes qui meurent.
Raconte-moi comment t’a emportée
dans la brume sombre,
par quelle ruse forte t’a trompée
le Maître du Large Accueil. »
Alors Perséphone la belle
lui répondit ces mots :
« je vais te dire, mère,
exactement tout ce qui s’est passé.
Quand est venu Hermès le bienfaiteur,
le messager rapide
de la part de Zeus le Père
et de tous les autres Ouraniens,
me disant de sortir de l’Érèbe
pour que tu me voies de tes yeux
et que cesse ta colère,
ta fureur contre les Immortels,
j’ai tout de suite bondi de joie.
Mais, sans que j’y prenne garde,
il m’a mis dans la bouche
un doux pépins de grenade
et m’a contrainte par la force
à l’avaler malgré moi.
Comment il m’a prise grâce au piège
inventé par le Kronide
mon père, au fond de la terre
comment il m’a emportée,
je te le dirai, je répondrai
à toutes tes questions.
Nous étions toutes
dans une délicieuse prairie,
Leukippè, Phaïno,
Ianthé et Électre,
Mélitè et Iakhè,
Rhodéïa et Kallirhoè,
Lèlobosis et Tykhè,
Okyrhoè, belle comme une fleur,
Chryséis et Ianeïra,
Akastè et Admètè
et Rhodopè et Ploutô
et Calypso la désirable,
et Styx, et Ouranie
et l’aimable Galaxaurè
Pallas qui provoque les batailles,
Artémis qui aime les flèches,
nous jouions à cueillir
de nos mains de douces fleurs,
le beau crocus mêlé
aux flambes d’eau, aux jacinthes,
et la rose en bouton,
et les lys, merveille des yeux,
et le narcisse qu’a fait naître
comme le crocus la terre large.
Et moi je l’ai cueilli,
pleine de joie ; mais le sol s’est ouvert ; le prince en est sorti,
le maître du Large Accueil,
le puissant ; il m’a emportée
sur son char d’or au fond de la terre.
Je ne voulais pas. J’ai crié
à pleine voix ; mon cri montait.
Voilà toute la vérité ;
il me fait deuil de te la dire. »
Elles passèrent alors tout le jour,
leurs cœurs à l’unisson,
à se réconforter l’une l’autre,
à se réjouir ;
elles s’embrassaient sans cesse,
et leur chagrin s’effaçait ;
chacune recevait
et donnait à son tour de la joie.
Voici que s’approcha d’elles
Hécate (son diadème brille).
Elle embrassa longuement
la fille de Déméter la sainte.
Et c’est pourquoi la princesse
marche devant elle et derrière.
Zeus le Voyant qui gronde fort
leur envoya comme messagère
Rhéïa aux longs cheveux
pour faire revenir chez les dieux
Déméter aux voiles noires ;
Il promit de lui donner
tous les honneurs qu’elle souhaiterait
parmi ceux des Immortels.
Il accepta que sa fille,
de chaque année qui tourne
passe la troisième partie
dans la brume obscure,
et les deux autres près de sa mère
et les dieux qui ne meurent pas.
Voilà ce qu’il dit. À cet ordre
la déesse ne fut pas rebelle.
Elle s’élança soudain
depuis les sommets de l’Olympe,
alla jusqu’à Rharos, où étaient
autrefois les seins nourrissants
de la terre, mais depuis
ils ne nourrissaient plus.
Ils étaient stériles, sans verdure ;
cachant l’orge blanc
selon l’idée de Déméter
aux fines chevilles. Mais bientôt
la terre aurait une chevelure
de longs épis ;
le printemps s’épanouirait,
les riches sillons
dans la plaine seraient lourds
d’épis, à lier en gerbes.
C’est là qu’elle alla tout d’abord,
venue de l’éther infertile.
Elles eurent plaisir à se voir ;
leurs cœurs étaient en joie.
Voici ce que lui dit alors
Rhéïa (son diadème brille) :
« Viens ici, mon enfant ;
Zeus le voyant qui gronde fort
veut que tu reviennes chez les dieux ;
il promet de te donner
tous les honneurs que tu souhaiteras
parmi ceux des immortels.
Il accepte que ta fille
de chaque année qui tourne,
passe la troisième partie
dans la brume obscure,
et les deux autres près de toi
et des dieux qui ne meurent pas.
Il dit qu’il en serait ainsi ;
il a fait signe de la tête.
Allons, va, mon enfant,
obéis, cesse d’être en colère
si violemment contre le Kronide
Maître des Nuages Noirs.
Fais pousser tout de suite
le grain qui nourrit les hommes. »
Voilà ce qu’elle dit. Déméter
la couronnée obéit.
Elle fit pousser tout de suite
le grain dans les champs fertiles.
Toute la terre large s’alourdit
de feuilles et de fleurs.
Elle, aux rois qui rendent la justice
elle alla montrer
à Triptolémos, à Dioklès
l’habile cavalier,
à Eumolpos le fort, à Kéléïos
qui guide les peuples,
le déroulement des cérémonies ;
elle révéla les rites
(à Triptolémos et à Polyxénos, à Dioklès aussi).
Rites graves, on ne peut
ni les négliger, ni s’en enquérir,
ni en parler ; la piété pour les Déesses
retient la voix.
Heureux parmi les hommes de la terre
celui qui les a vus.
Celui qui n’a rien fait,
qui n’a pas pris part à rien, son sort
est différent, quand il est mort,
dans les ténèbres mouillées.
Puis quand elle eut tout mis en ordre,
la déesse des déesses,
elle s’en alla vers l’Olympe
à l’assemblée des dieux.
C’est là qu’elles habitent toutes
près de Zeus Joie-de-le-Foudre
les grandes, les Vénérables.
Bienheureux parmi les hommes
qui sont sur terre celui
qu’elles ont choisi d’aimer.
Soudain elles lui envoient
comme un hôte dans sa maison
Ploutos qui donne l’abondance
aux hommes qui mourront.
Et maintenant, maîtresse du pays,
d’Éleusis aux bonnes senteurs,
de Paros entourée par les vagues,
d’Antrôn la rocheuse,
souveraine, maîtresse des saisons,
douce bienfaitrice,
Princesse Déo, avec ta fille,
la belle Perséphone,,
prends soin de nourrir en joie ma vie
en récompense de mon chant.
Pour moi j’ai de toi souvenir,
mais d’autre chant aussi.
1: Hermès
2:voir articles sur les ménades ou les Bacchantes.
v.304-495
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