Sauvetage d'Inanna par Enki; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

(ndlr:Ninšubur, l’assistante d’Inanna, tente de plaider la cause d’Inanna auprès d’Enlil et de Nanna, sans succès. Elle arrive ensuite devant Enki.)

Devant Enki elle répandit les larmes et lui dit :

« Ô vénérable Enki, ne laisse pas tuer ta fille

dans le monde d’En-bas !

Ne laisse pas mêler ton métal précieux

à la terre du monde d’En-bas !

Ne laisse pas épanneler comme bloc de carrier

ta lazulite brillante !

Ne laisse pas équarrir ton Buis,

comme bois de charpente !

Ne laisse pas la jeune Inanna

demeurer morte dans le monde d’En-bas ! »

Et Enki le vénérable , répondit à Ninšubur :

« Mais qu’a donc fait ma fille? Je suis inquiet !

Qu’a donc fait Inanna ? Je suis inquiet !

Qu’a fait la reine de toutes contrées ? Je suis inquiet !

Qu’a fait la Hiérodule de An ? Je suis inquiet ! »

Curant alors un peu de terre de (sous) ses ongles,

il en modela un kurgara1 ;

En curant derechef un peu de terre de (sous) ses ongles,

Il modela un kalatur1.

Au kurgara il remit de la nourriture-de-vie,

au kalatur, du breuvage-de-vie !

Puis Enki, le vénérable, dit au kalatur et au kurgara :

« Bon ! Allongez vos pas vers le monde d’En-bas :

voltigez comme mouches autour de son huis,

tournoyez comme courants d’air

autour du pivot de sa porte !

Vous trouverez, à l’intérieur , la mère génitrice,

à cause de ses enfants,

Éreškigal au lit, malade,

sans vêtements jeté sur ses saintes épaules,

Le coeur aussi peu dilaté qu’une écuelle,

Son ………. disposé auprès d’elle comme un ……… de cuivre,

sa chevelure rassemblée sur sa tête comme un poireau !

Quand elle dira: »Aïe ! Mes entrailles! »

(dites lui):  « Ô notre souveraine dolente, Aïe ! Tes entrailles !! »

Quand elle dira: »Aïe ! Mes membres! »

(dites lui):  « Ô notre souveraine dolente, Aïe ! Tes membres !! »

Elle vous dira alors : « Qui que vous soyez, vous autres,

puisque vous avez exprimé la douleur (passant)

de mes entrailles à vos entrailles

de mes membres à vos membres,

Divins, je vous adresserai un salut favorable !

Faites-lui alors prêter serment

Par le ciel et la Terre,

Et…….

Lorsqu’on vous présentera de l’eau-de-rivière, refusez-la!

Lorsqu’on vous présentera du grain-des-champs, refusez-le !

« Offre-nous plutôt (dites-lui)

le cadavre suspendu au clou! »

L’un de vous lui versera dessus de la nourriture-de-vie,

l’autre du breuvage-de-vie,

et Inanna reviendra à la vie! »

………………..

La sainte Éreškigal de répondre alors

(au kalatur et au kurgura) :

« Mais ce cadavre, c’est celui de votre souveraine !

-Même si c’est celui de notre souveraine,

remets-le nous! » dirent-ils,

Puis l’un d’eux versa sur lui de la nourriture-de-vie,

l’autre du breuvage-de-vie,

et Inanna revint à la vie !

Mais alors qu’elle se préparait

à remonter du monde d’En-bas,

les Anunna la retinrent (et lui dirent) :

« qui donc, descendu au monde d’En-bas,

en est jamais ressorti quitte ?

Si donc Inanna veut remonter du monde d’En-bas,

elle doit nous remettre un substitut2! »

Aussi, tandis qu’Inanna remontait du monde d’En-bas,

de petits démons, pareils à des roseaux-šukur,

avec de gros démons, pareils à des roseaux-dubban,

L’escortaient-ils.

Celui qui ouvrait le chemin, sans être capitaine,

portait un bâton ;

Ceux qui l’accompagnaient, sans être hommes-de-troupe,

portaient à la ceinture une masse-d’armes !

Or, ces escorteurs, ces escorteurs d’Inanna,

dédaignaient les offrandes de nourriture et de boisson,

ne mangeaient point la farine épandue en sacrifice,

ni ne buvaient l’eau versée en libation :

capables d’arracher l’épouse au bras de son époux,

et le bébé au sein de sa nourrice !

Inanna sortit donc du monde d’en bas!

commentaire et note de bas de pages de jean Bottéro à propos des kalatur et kurgara

1: kurgara et kalatur représentent des invertis/travestis bien connus dans la tradition mésopotamienne. En sumérien, kurgara se réfère à une catégorie de ces invertis ; kala.tur

mot à mot « jeune kalû », renvoie par ce dernier mot (sumérien : kala, akkadisé en kalû) à un officier du culte, généralement entendu comme chântre, et en particulier de « lamentatons », et qui (à la façon de nos chanteurs castrés) ne davait guère avoir bonne réputation pour ses moeurs, encore moins lorsqu’il était jeune et girond, comme on dit familièrement.

2:Selon la règle connue de la jurisprudence du pays (notamment les « articles »116 s. Du « Code » de Hammurabi), le « substitut », le répondant, devait être pris dans la propre famille ou domesticité de celui qu’il remplaçait.

La descente d’Inanna aux enfers extrait choisis v.208-247, v.268-291

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Inanna va voir Éreškigal et « meurt » en Enfer; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Le vénérable Enki, à l’ample intelligence

lui qui connait nourriture-de-vie et breuvage-de-vie,

me rendre certainement la vie !

Et Inanna s’en fut vers le monde d’en-bas,

…………….

ouvre donc le palais, Pêtû ! Ouvre le palais :

j’y veux pénétrer en personne !

Et Pêtû, portier en chef du monde d’En-bas,

de répondre à la sainte Inanna :

« Eh bien, qui est-tu , toi ?

-Je suis la reine du ciel,

de là où le soleil se lève !

-Si tu es la reine du ciel,

de là où le soleil se lève,

pourquoi être venue au Pays-sans-retour ?

Pourquoi ton cœur t’a t-il poussée

sur le chemin que nul ne rebrousse? »

et la sainte Inanna lui repartit alors :

« C’est pour Éreškigal, ma sœur ainée,

dont l’époux, sire Gugalanna, a été tué :

pour assister aux funérailles

et prendre part aux libations rituelles!C’est vrai! »

Mais Pêtû, le portier en chef du monde d’En-bas,

répondit à la sainte Inanna ! Je vais parler à ma souveraine !

Je vais parler à ma souveraine Éreškigal! »

Pêtû, le portier en chef du monde d’En-bas,

entra donc auprès d’ Éreškigal, sa souveraine, et lui dit :

« Madame, il y a là une jeune femme

élevée comme le ciel, plantureuse comme la terre :

Elle a heurté d’un poing menaçant l’huis du monde d’En-bas

…………

Alors Éreškigal, en grand soucis, se frappa les cuisses de rage,

et se mordit les lèvres de dépit.

Elle dit à Pêtû, le portier en chef :

« Va, Pêtû, mon portier en chef du monde d’En-bas,

et n’oublie pas ce que je t’ordonne !

Tire le verrou des sept-portes du monde d’En-bas :

Ouvre l’une après l’autre

les portes du palais de Ganzer,

et lorsqu’elle y sera entrée,

qu’on amène son corps maté, dépouillé de ses vêtements! »

Pêtû, le portier en chef du monde d’En-bas,

déférant aux ordres de sa souveraine,

tira donc le verrou des sept-portes du monde d’En-bas,

et ouvrit l’une après l’autre

les portes du palais de Ganzer,

En disant à la sainte Inanna :

« Eh bien ! Inanna, entre! »

Et lorsqu’elle franchit la première porte,

on lui ôta de la tête le Turban, Couronne-de-la-steppe.

« Que signifie ? (dit-elle)

-Silence, Inanna (répondit-on) :

Les pouvoirs du monde d’En-bas sont irréprochables !

Ne proteste pas contre les rites du monde d’En-bas! »

Lorsqu’elle franchit la seconde porte,

……

(ndlr : après avoir franchi sept portes et avoir été dépouillé de ses sept pouvoirs matérialisé sous forme de vêtements, objets, bijoux,…)

Ainsi son corps maté, dépouillé de ses vêtements,

fut-il amené devant Éreškigal.

La sainte Éreškigal prit alors place sur le trône,

et les Anunna, les sept magistrats,

articulèrent devant elle leur verdict :

Elle porta sur Inanna un regard : un regard meurtrier !

Elle prononça contre elle une parole : une parole furibonde !

Elle jeta contre elle un cri : un cri de damnation !

La femme, ainsi maltraitée, fut changée en cadavre,

Et le cadavre suspendu à un clou !

La descente d’Inanna aux enfers extrait choisis v.65-169

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Mort et époux quasi homonyme; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

mûtu (avec la première voyelle longue) signifiait « la mort », à quoi Éreškigal vouait Nergal ; à présent, mutu (même voyelle mais brève) marque l’époux qu’il va devenir d’elle. Tout le nerf du mythe est dans cette assonance. …… il est clair qu’elle voulait souligner à quel point la volonté d’Éreškigal, si clairement exprimées quelques mois auparavant (au cours desquels Namtar serait en vain remonté quérir son coupable), a bel et bien été réalisée enfin, « à la lettre ». Mais au prix d’un décalage provoqué par cette quasi-homonymie : Éreškigal voulait nergal « pour (le vouer à) la mort »(ana mûti) ; elle l’a obtenu « pour époux » (ana muti).

Extrait des commentaires de la version ancienne de Nergal et Éreškigal, pg 458.

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard

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Concordance des différentes version du mythe de Nergal et Éreškigal; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Le mythe de nergal et Éreškigal a été calculé pour concilier les deux traditions et expliquer comment et pourquoi l’Enfer, d’abord sous la mainmise d’Éreškigal, était ensuite tombé sous celle de Nergal. Suivant le système de bipartition de la société divine sur le modèle de l’univers séparé en deux pôles verticaux, l’En-haut et l’En-bas, on y a représenté Nergal comme ayant appartenu d’origine aux groupes des divinités du ciel (peut-être un souvenir de cet état premier se reflète-t-il, en l’autre pièce, dansce nom de Gugal-anna : Grand taureau céleste, donné, on vient de le voir, au « prince consort » de la reine infernal?). Les deux versions de notre mythe partent donc des mêmes données : en-bas, Éreškigal seule souveraine et , en-haut, nergal membre de la cour céleste ; et aboutissent au même résultat : Nergal lié à Éreškigal et devenu souverain de l’Enfer ; par le même moyen terme : le mariage entre eux.

pg 455

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Conseil d'Éa au voyageur des Enfers; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Éa le rappela et lui donna ces directives :

« Ô voyageur ! Puisque tu veux partir …..

Observe bien toutes les instructions

que je te donne…..

Dès ton arrivée en Enfer, si l’on t’apporte un siège,

refuse de t’y assoir !

Si un cuisinier t’apporte du pain,

refuse d’en manger !

Si un chef t’apporte de la viande,

refuse d’en consommer !

Si un sommelier t’apporte de la bière,

refuse d’en boire !

Si l’on te présente un pédiluve,

refuse d’y tremper tes pieds.

Et si Éreškigal entre en la salle de bains

revêtue de…..,

Et te dévoile son corps…….,

ne démontre point ton désir,

comme cela se fait d’homme à femme.

Extrait de la version ancienne de Nergal et Éreškigal, v.54′-65′.

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Atténuation tardive de la cruauté d'Inanna/Ištar-2; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

En somme, Inanna est présentée comme « revenue », en quelque sorte, à l’amour qu’elle portait à Dumuzi avant de le livrer pour son propre salut. Ce trait, dont il subsiste d’autres traces dans la tradition littéraire ancienne, est de la même inspiration que celui qui cherchait à atténuer la responsabilité de la cruelle et lâche décision de la déesse en le faisant partager par Ereškigal. Il semble dons que, pour de pieuses raisons sans doute, on aura voulu affaiblir, voire effacer, dans le mythe, ce qui, aux yeux d’une sensibilité religieuse plus évoluée, ne paraissait pas digne d’une aussi grande et vénérable divinité.

Commentaire sur Inanna et Bilulu pg 337

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.

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Atténuation tardive de la cruauté d'Inanna/Ištar-1; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

En mettant sur la bouche d’Éreškigal en personne les ordres donnés à son lieutenant, non seulement de ranimer Ištar, et , implicitement, de la faire sortir de l’Enfer, puis, au lieu et place de la troupe démoniaque, de veiller à ce qu’elle fournisse un remplaçant de sa personne, mais aussi de s’arranger pour que Tammuz ait l’air à l’aise et fringuant-sous entendu : lorsque Ištar tombera sur lui- la version allège en quelque sorte la responsabilité de la déesse : en s’irritant de voir son amant festoyer, alors qu’elle-même était détenue en enfer, et en le condamnant précisément pour cette inconscience ou cette insolence, à l’y remplacer, Ištar est donc tombée dans le piège que lui a machiné la noire Éreškigal, furieuse qu’on lui ait arraché sa prisonnière. De toute évidence, la Descente d’Ištar, si elle laisse bien au compte de l’héroïne d’avoir rejeté et damné son amant en contrecoup de sa propre foucade, présente la chose plus discrètement que dans la Descente d’Inanna, et comme en essayant d’estomper quelque peu l’horreur de cette trahison, puisqu’elle en fait partager la responsabilité avec Éreškigal.

Commentaire sur la Descente d’Ištar aux Enfers (variante akkadienne de la descente d’Inanna aux Enfers) pg 327-328

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.