Les rêves sur la tombe, Enquête, Hérodote

Au sujet des Nasamons (Libye) :

Pour consulter les dieux, ils se rendent à l’endroit où sont ensevelis leurs ancêtres, font une prière et dorment sur la tombe ; les songes qu’ils font leur dictent leur conduite.

Pg 389-390

L’Enquête, Livre IV, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Funérailles Royale, Enquête, Hérodote

Les tombes de leurs rois sont dans le pays Gerrhiens, où le Borysthène cesse d’être navigable. A là mort du roi, ils creusent là-bas une grande fosse carrée; quand elle est prête, ils prennent le cadavre qui a été recouvert de cire et dont le ventre a été ouvert, vidé, rempli de souchet broyé, d’aromates, de graines de persil et d’anis, et recousu ensuite; ils le placent sur un chariot et l’emmènent dans une autre de leur tribus. Le peuple qui accueille le corps sur son territoire se livre aux mêmes manifestations que les Scythes Royaux: ils se coupent un bout d’oreille, se rasent le crâne, se tailladent les bras, se déchirent le front et le nez, se transpercent de flèche la main gauche. Puis le corps du roi, toujours sur son chariot, passe chez un autre peuple de l’empire, accompagné de ceux qui l’ont reçu d’abord. Lorsque le mort et son cortège ont passé chez tous leurs peuples, ils se trouvent chez les Gerrhiens, aux confins de leur empire et au lieu de la sépulture: alors, après avoir déposé le corps dans sa tombe sur un lit de verdure, ils plantent des piques autour de lui, fixent des ais par-dessus et les recouvrent d’une natte de roseaux; dans l’espace demeuré libre ils ensevelissent, après les avoir étranglés, l’une de ses concubines, son échanson, un cuisinier, un écuyer, un serviteur, un messager, des chevaux, avec les prémices prélevés sur le reste de ses biens et des coupes d’or, mais ni argent ni cuivre ; après quoi tous rivalisent d’ardeur pour combler la fosse et la recouvrir d’un tertre aussi haut que possible.

Lorsqu’un an s’est écoulé, ils font une nouvelle cérémonie : ils prennent, dans la maison du roi, ses serviteurs les plus utiles – tous de race scythe, car le roi désigne lui-même qui le servira : il n’y a pas d’esclaves achetés en ce pays- ; ils en étranglent cinquante, ainsi que les cinquante chevaux les plus beaux, en vident et nettoient le ventre, les bourrent de paille et les recousent. Puis ils fixent sur des pieux la moitié d’une roue, la jante tournée vers le sol ; ils font la même chose pour l’autre moitié, et enfoncent en terre un grand nombre de ces supports. Ensuite ils passent une perche solide dans le corps de chacun des chevaux, en long, jusqu’à la nuque, et les posent sur les roues : l’un soutient la tête à la hauteur des épaules, l’autre supporte le ventre à la hauteur des cuisses ; les pattes restent pendante et ne touche pas le sol. Ils mettent aux chevaux un mors et une bride qu’il tirent en avant de la bête et fixent à des piquets. Chacun des cinquante jeunes gens étranglés est alors placé sur son cheval ; pour cela, chaque corps est transpercé verticalement par un pieu, le long de la colonne vertébrale, jusqu’à la nuque ; l’extrémité inférieure du pieu dépasse le corps et s’emboîte dans une cavité ménagée dans l’autre pièce de bois, celle qui traverse le cheval. Ils installent ces cavaliers en cercle autour du tombeau, puis ils s’en vont.

Pg 389-390

L’Enquête, Livre IV, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Devins chez les Scythes, Enquête, Hérodote

Quand le roi des Scythes tombe malade, il convoque les trois devins les plus renommés, qui rendent leur oracle de la manière que j’ai dite (ndlr: il apportent un gros faisceaux de baguette de saule, le dénoue et font leur prédictions en les mettant les unes à coté des autres). En général, ils annoncent qu’un tel -un citoyen qu’ils nomment- a juré par le foyer royal pour appuyer un faux serment (jurer par le foyer est la formule la plus employée chez eux pour les serments solennels). Aussitôt l’homme que les devins ont déclaré coupable de parjure est arrêté; on leur amène et ils lui signifient qu’il a été convaincu par leur science d’avoir juré faussement par le foyer royal, ce qui a provoqué la maladie du roi. L’homme nie, affirme son innocence et proteste avec la dernière énergie. Devant ses dénégations le roi fait appel à d’autres devins, en nombre double. Si la science des nouveaux venus convainc également l’homme de parjure, on lui coupe la tête immédiatement et ses biens sont répartis par le sort entre les premiers devins. Si la seconde consultation est en sa faveur, on appelle d’autres devins, et d’autres encore; si la majorité le déclare innocent, la règle est alors de faire périr les premiers devins.

Voici comment on les exécute: on remplit un chariot de bois bien sec, on y atèle des bœufs, et l’on met au milieux des fagots les devins, les pieds chargés d’entraves, les mains liées derrière le dos, et bâillonnés; puis on allume les fagots et l’on chasse les bœufs en leur faisant peur. Les bœufs sont souvent brûlés avec les devins, mais souvent aussi le timon cède, rongé par les flammes, et ils s’en tirent avec quelques brûlures. On brûle les devins pour d’autres raisons encore, et toujours de cette façon, quand on les traite de faux devins. Lorsque le roi fait exécuter un homme, il frappe aussi sa famille et il fait périr tous ses enfants mâles, mais épargne les filles.

Pg 387-388

L’Enquête, Livre IV, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Mœurs des Scythes-2, Enquête, Hérodote

Pour la guerre, voici l’usage qu’ils observent : tout Scythe qui tue pour la première fois boit du sang de sa victime ; aux ennemis qu’il abat dans une bataille, il coupe la tête qu’il présente au roi : s’il présente une tête, il a sa part du butin conquis ; sinon il ne reçoit rien. Voici comment on scalpe une tête : on fait une incision circulaire en contournant les oreilles, puis d’un brusque coup on détache la peau du crâne ; on la racle à l’aide d’une côte de bœuf, on l’assouplit en la maniant, après quoi on s’en sert comme d’une serviette et on l’accroche à la bride de son cheval, avec fierté, car qui en possède le plus grand nombre passe pour le plus vaillant. Beaucoup s’en font même des manteaux en les cousant ensemble, à la manière des casaques des berges. Beaucoup aussi prélèvent sur les cadavres de leur adversaires la peau de la main droite avec les ongles, pour en faire les couvercles de carquois, la peau humaine est assurément épaisse et lustrée, supérieure à toute les autres en blancheur et en éclat. Beaucoup écorchent même des hommes tout entiers et tendent les peaux sur des cadres de bois qu’ils juchent sur leur chevaux pour les exhiber à la ronde.

Pg 385-386

L’Enquête, Livre IV, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Moeurs des Scythes, Enquête, Hérodote

Moeurs des Scythes

« Les seuls Dieux qu’ils adorent sont Hestia en premier lieu, puis Zeus et la Terre dont il font l’épouse de Zeus ; viennent ensuite Apollon, l’Aphrodite céleste, Héraclès et Arès. Ces divinités sont adorées dans toute la Scythie, mais les Scythes Royaux sacrifient aussi à Poséidon. Hestia s’appelle chez eux Tabiti ; Zeus (d’un nom très juste à mon avis) : Papaios ; la terre : Api ; Apollon : Oitosyros ; l’Aphrodite Céleste : Argimpasa ; et Poséidon : Thagimasadas. Ils n’élèvent à leur dieux ni statues, ni autels, ni temples, sauf à Arès qui, lui, en a chez eux. »

Tabiti-Hestia est la déesse du foyer, son nom signifiant la brûlante » ; représentée parfois moitié femme, moitié serpent, ou flanquée de deux bêtes (chien et corbeau en particulier). Papaios-Zeus est un dieu du ciel ; Hérodote rapproche son nom du grec papos « aïeul », Zeus étant le Père, maître des dieux et des hommes. Le nom d’Api ou Apia, la Terre, rappelle plutôt le nom de l’eau dans la plupart des dialecte iraniens. Oitosyros, Apollon, dieu du soleil, est Mithra, Argimpasa, Aphrodite celèste, est la déesse de la lune. Le nom de Thagimasadas, Poséidon, dieu de la mer, reste obscur.

Pg 383-384

L’Enquête, Livre IV, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Coutumes de Issédones, Enquête, Hérodote

Voici, dit-on, les coutumes des Issédones. Lorsqu’un homme a perdu son père, tous ses proches lui apportent du bétail ; les animaux sont sacrifiés et dépecés, puis ont découpe également le cadavre du père, on mêle toutes les viandes et l’on sert un banquet. La tête du mort, soigneusement rasée, vidée, est recouverte de feuilles d’or et devient pour eux une image sacrée à laquelle on offre tous les ans des sacrifices somptueux. Le fils rend cet honneur à son père, de même qu’en Grèce on célèbre le jour anniversaire de la mort. Au reste les Issédones sont eux aussi, dit-on vertueux, et les femmes ont chez eux les mêmes droits que les hommes.

Pg 369-370

L’Enquête, Livre III, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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La force de la coutume, Enquête, Hérodote

Ndlr : Au sujet des folies de Cambyse

En définitive, il me semble absolument évident que ce roi fut complètement fou ; sinon, il ne se serait pas permis de railler les choses que la piété ou la coutume commande de respecter. En effet, que l’on propose à tous les hommes de choisir, entre les coutumes qui existent, celles qui sont les plus belles et chacun désignera celles de son pays – tant chacun juge ses propres coutumes supérieures à toutes les autres. Il n’est donc pas normal, pour tout autre qu’un fou du moins, de tourner en dérision les choses de ce genre. – Tous les hommes sont convaincus de l’excellence de leurs coutumes, en voici une preuve entre bien d’autres ; au temps où Darius régnait, il fit un jour venir les Grecs qui se trouvaient dans son palais et leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger, à sa mort, le corps de leur père : ils répondirent tous qu’il ne le feraient jamais, à aucun prix. Darius fit ensuite venir les Indiens qu’on appelle Callaties1, qui eux, mangent leurs parents ; devant les Grecs (qui suivaient l’entretien grâce à un interprète), il leur demanda à quel prix il se résoudraient à brûler sur un bûcher le corps de leur père : les Indiens poussèrent les hauts cris et le prièrent instamment de ne pas tenir de propos sacrilèges. Voila bien la force de la coutume, et Pindare a raison, à mon avis, de la nommer dans ses vers « la reine du monde » .

1:ou Callanties, peut-être identiques aux Padéens, mangeurs de viande crue. « Voici, dit-on leur coutume : quand l’un des leurs, homme ou femme, tombe malade, on le tue ; si c’est un homme, il es t achevé par des hommes, ses plus proches parents ou amis -car, disent-ils, la maladie le ferait aigrir et sa chair ne serait plus bonne. Le malade a beau nier son état, les autres refusent de l’écouter, le tuent, et s’en régalent. S’il s’agit d’une femme, ses meilleures amies agissent envers elle de la même façon. Ils ont coutume, en effet, de sacrifier et manger quiconque parvient à la vieillesse ; mais rares sont ceux qui arrivent jusque-là, car ils mettent à mort sans attendre davantage toute personne qui tombe malade. D’autres Indiens (des Yogis ou les ascètes du Jaïnisme ou du Bouddhisme.) ont des coutumes différentes : ils ne tuent aucun être animé, ne sèment pas, ignorent l’usage des maisons et se nourrissent d’herbes ; ils on tune graine de la grosseur du millet enfermées dans une cosse, et qui pousse sans culture (le riz), ils la recueillent, la font bouillir sans la décortiquer, et s’en nourrissent. Quand l’un d’eux tombe malade, il va se coucher à l’écart et personne ne s’occupe de lui, pas plus après sa mort que pendant sa maladie.

Pg 286-287

L’Enquête, Livre III, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Premier contacte entre Cambyse et l'Éthiopie et départ en guerre de Cambyse, Enquête, Hérodote

ndlr : Cambyse projetant d’envahir les Éthiopiens Longues-Vies, décide d’envoyer des Ichthyophages1 pour espionner la contrée sous couverture diplomatique.

Arrivés auprès de ces gens (ndlr : les Éthiopiens), les Ichthyophages remirent leurs donc au roi et lui dirent : « Le roi des Perses, Cambyse, désire devenir ton ami et ton hôte ; il nous a envoyés ici avec l’ordre d’entrer en relation avec toi, et il t’adresse en présent ces objets, ceux dont il tire lui-même le pus grand plaisir. » L’Éthiopien comprit qu’ils n’étaient que des espions et leur répondit : « Le roi des Perses ne vous a pas envoyés, vous et vos présents, parce qu’il tient beaucoup à devenir mon hôte ; vous-mêmes, vous ne dites pas la vérité, car vous êtes venus espionner mon royaume ; et lui, il n’est pas un homme juste ; s’il était juste, il n’aurait pas convoité un pays qui ne lui appartient pas, il ne chercherait pas à réduire en esclavage des hommes qui ne lui ont fait aucun tort. Eh bien, remettez-lui cet arc et dites-lui ceci : »Le roi d’Éthiopie donne ce bon conseil au roi des Perses : le jour où les Perses banderont aisément un arc de cette taille, comme je le fais, qu’il attaque les Éthiopiens Longues-Vies, avec des forces supérieures aux leurs. En attendant ce jour, qu’il remercie les dieux qui ne mettent pas au coeur des fils de l’Éthiopie le désir d’accroître leurs terres pas des conquêtes. »

Là-dessus il débande son arc et le remit aux émissaires de Cambyse. Puis il prit le vêtement de pourpre et demanda ce que c’était, et comment on l’avait fait. Quand les Ichthyophages lui eurent dit la vérité sur le pourpre et les teintures, il déclara que tout mentait dans leur pays, les vêtements comme les hommes. Ensuite il les questionna sur l’or des colliers et des bracelets ; les Ichthyophages lui expliquèrent que c’était une parure, mais le roi les prit pour des chaînes et répondit en riant qu’ils avaient chez eux des chaînes plus solides que celles-là. Puis il passa au parfum ; les autres lui en dirent l’origine et l’usage, et il en jugea comme du vêtement. Mais lorsqu’il fut au vin et qu’il sut comment on le fabriquait, ce breuvage l’enchanta ; il voulu alors savoir ce que mangeait leur roi, et quel âge extrême pouvait atteindre un Perse. Ils répondirent que le roi se nourrissait de pain, et lui expliquèrent comment on cultivait le blé ; puis ils lui dirent que la vie la plus longue que peut espérer un homme ne dépasse pas quatre-vingts ans ; sur quoi l’Éthiopien s’écria, qu’il ne s’étonnait nullement que, nourris de fumier, ils eussent si peu d’année à vivre : ils ne pourraient même pas durer si longtemps s’ils n’avaient cette boisson (il voulait parler du vin) pour se soutenir ; car sur ce point, dit-il, les Éthiopiens s’avouaient inférieurs aux Perses.

À leur tour, les Ichthyophages questionnèrent le roi sur la durée de vie des Éthiopiens et leur nourriture ; chez lui, leur dit-il, on atteignait en général 120 ans, et certains dépassaient même cet âge ; on se nourrissait de viande bouillies et l’on buvait du lait. Comme les espions manifestaient leur surprise devant une telle longévité, le roi, dit-on, les mena près d’une source dont les eaux rendaient la peau onctueuse, telle une source d’huile, et qui exhalait une odeur de violette ; l’eau y avait une si faible densité, dirent les espions, que rien ne pouvait y flotter, ni le bois, ni les matériaux plus léger encore que le bois : tout allait au fond. Si cette eaux est bien telle qu’on la décrit, il se peut qu’ils doivent à son emploi constant leur étonnante longévité2. En quittant cette source, ils allèrent visiter une prison où tous les prisonniers étaient liés de chaînes d’or ; car dans cette contrée le métal le plus rare et le plus précieux est le cuivre. Après avoir vu la prison, ils allèrent voir aussi ce que l’on appelle la table du Soleil.

Pour fini, on leur montra les sépultures des Éthiopiens, que l’on fait, dit-on, dans une matière transparente, de la façon que voici : on momifie le corps, à la manière des Égyptiens ou par tout autre procédé, puis on l’enrobe d’une couche de plâtre que l’on peint entièrement et le plus fidèlement possible à la ressemblance du défunt ; ensuite, on le glisse debout dans un étui fait d’une pierre transparent, qu’on tire en abondance de leur sol et qui se laisse facilement travailler3. Le corps enfermé dans cet étui demeure visible, il ne dégage aucune mauvaise odeur et n’a rien de répugnant, et il est en tout point exactement semblable à la personne défunte. Pendant un an, les plus proches parents du défunt gardent chez eux cet étui de pierre et lui offrent les prémices de toute chose ainsi que des sacrifices ; après quoi, ils l’enlèvent de leur demeure et le dressent aux environs de la ville.

Les espions examinèrent bien tout et s’en retournèrent. Leur rapport mit Cambyse en fureur et sur-le-champ il partit en guerre contre les Éthiopiens, sans avoir organisé son ravitaillement, sans se rendre compte qu’il allait lancer ses troupes aux extrémités du monde ; comme un possédé, en homme qui a perdu l’esprit, à peine eut-il entendu les Ichthyophages qu’il se mit en campagne, en ordonnant à ses troupes grecques de rester sur place tandis qu’il emmenait avec lui toute son infanterie. À son passage à Thèbes4, il détacha de son armée 50 000 hommes anviron et les chargea de réduire en esclavage les Ammoniens et de brûler leur oracle de Zeus ; lui-même marcha contre les Éthiopiens avec le reste de ses troupes. Mais avant même que l’armée eut parcouru le cinquième du chemin, tous les vivres qu’ils emportaient se trouvèrentt épuisés, et après les vivres ce fut le tour des bêtes de somme, qu’ils mangèrent jusqu’à la dernière. Si Cambyse avait alors ouvert les yeux, s’il avait renoncé à ses projets et fait reculer ses troupes, il aurait, après sa faute initiale, fait preuve de raison ; mais, sans tenir compte de la situation, il continua d’avancer. Tant que la terre porta quelque végétation, les soldats vécurent en mangeant de l’herbe ; mais lorsqu’ils arrivèrent au sable du désert5, certains firent une chose horrible : ils tirèrent au sort un homme sur dix et le mangèrent. Instruit de ce forfait, Cambyse craignit de voir ses soldats s’entre-dévorer : il abandonna ses projets contre l’Éthiopie, retourna sur ses pas et revint à Thèbes, après avoir perdu bien des hommes.

1 : Ces « mangeurs de poissons » habitaient très au sud les bords de la mer Érythrée.

2 : La « fontaine de Jouvence », toujours placée au-delà des limites du monde connu, s’est trouvée transférée en Amérique du sud au XVIème siècle.

3 : On a pensé au cristal de roche, au sel gemme, à l’ambre, à l’albâtre (des sarcophages d’albâtre translucide existent effectivement en Égypte), ou même, malgré ce que dit Hérodote, à de la porcelaine, ou, selon Ctésias, au verre, fondu et coulé non sur le corps, qui serait réduit en cendres, mais sur un étui d’or, d’argent ou d’argile (selon la fortune de la famille) enfermant le cadavre.

4 : De cette époque datent vraisemblablement les incendies dont les traces ont été révélées sur les édifices sacrés de Thèbes.

5 : Le but de l’expédition devait être Méroé-Napata, la ville sainte des Éthiopiens (les Nubiens-soudanais) ; les troupes de cambyse ont sans doute longé le Nil jusqu’à la seconde cataracte, puis coupé à travers le désert pour essayer d’atteindre plus vite la ville.

Pg 275-279

L’Enquête, Livre III, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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Conte Égyptiens : les frères voleurs et le Pharaon, Enquête, Hérodote

Le roi Rhampsinite1, m’a-t-on dit, posséda une immense fortune en argent ; aucun des rois qui lui succédèrent ne put sur ce point le dépasser ou même l’égaler. Pour mettre son trésor à l’abris, il se fit bâtir une chambre toute en pierre, dont l’un des murs donnait sur l’extérieur du palais. Mais son architecte dans un dessein coupable, usa d’un artifice en construisant cette pièce : il fit en sorte que l’une des pierres de ce mur pût être aisément retirée par deux hommes ou même un seul. Sitôt l’édifice achevé, le roi y entassa ses trésors. Les années passèrent et l’architecte arrivé à son dernier jour, manda ses fils (il en avait deux) et leur fit connaître l’artifice dont il avait usé, en bâtissant le trésor royal. L’architecte mourut, et ses fils se mirent sans tarder à l’ouvrage. Ils vinrent la nuit au palais, reconnurent et déplacèrent sans peine la pierre du mur et emportèrent beaucoup d’argent. En ouvrant un jour son trésor, le roi fut surpris de trouver moins d’argent dans les vases, mais il ne savait qui soupçonner : les sceaux étaient intacts et la pièce bien verrouillée. Il y revint à deux ou trois reprises et, comme à chaque visite il voyait son argent diminuer, il prit le parti que voici : il fit faire des pièges et les fit disposer autour des vases où était l’argent. Les voleurs vinrent comme auparavant : l’un deux s’introduisit dans la pièce, mais sitôt qu’il s’approcha du vase qu’il comptait vider, le piège se referma su lui. Dès qu’il eut compris son malheur, l’homme appelle son frère, lui montre ce qui lui arrive et lui enjoint d’entrer au plus vite et de lui couper la tête, de crainte qu’on ne le vît et qu’on ne le reconnût : la perte de l’un entraînerait celle de l’autre. Le frère jugea qu’il avait raison et suivit son conseil ; puis il remit la pierre en place et revint chez lui, en emportant la tête de son frère. Le jour venu, le roi entra dans la chambre et demeura stupéfait d’y trouver le corps de son voleur pris au piège et décapité, quand la pièce ne présentait nulle trace d’effraction et nulle possibilité d’y entrer ni d’en sortir. Dans cette incertitude, il prit le parti suivant : il fit pendre au mur le cadavre de son voleur, et le fit garder par des sentinelles, qui avaient ordre de saisir et de lui amener toutes personnes qu’elle verraient gémir ou pleurer sur lui. Le cadavre fut donc accroché au mur, mais la mère du voleur ne put supporter cette idée : elle s’adressa au fils qui lui restait et lui enjoignit de trouver un moyen quelconque de détacher le corps de son frère et de le lui rapporter ; et elle le menaçait, s’il négligeait sa demande, d’aller elle-même dire au roi que l’argent était en sa possession.

En butte aux incessants reproches de sa mère, le fils survivant, qui ne pouvait, malgré tous ses efforts, lui faire entendre raison, eut recours au stratagème suivant : il harnacha des ânes, les chargea de quelques outres remplies de vin et les poussa devant lui. Près des sentinelles qui veillaient sur le cadavre pendant au mur, en tirant sur le col de deux ou trois de ses outres, il en défit volontairement les liens. Le vin se répandit et lui criait et se frappait la tête, en homme qui ne sait vers quel âne courir d’abord. Quant aux sentinelles, lorsqu’elles voient le vin couler à flots, elles se précipitent sur la route avec des récipients pour recueillir ce vin jaillissant des outres, en se félicitant de l’aubaine. Lui les accablait d’injure en feignant la colère ; puis, comme ils essaient de le consoler, il feint au bout de quelque temps de se calmer et d’oublier sa fureur. Enfin, il pousse ses bêtes hors du chemin, pour remettre en ordre leur chargement. De propos en propos l’un des gardes, en lui plaisantant, réussit à l’égayer, si bien qu’il leur fait cadeau d’une de ses outres. Aussitôt ils s’étendent à terre, sans aller plus loin, et ne songent plus qu’à boire ; ils lui font place à leurs côtés et l’invitent à rester et à boire en leur compagnie. Le jeune homme se laissa convaincre et demeura ; puis, comme ils buvaient cordialement à sa santé, il leur offrit une autre de ses outres. Après forces libations, les gardes complètement ivres et vaincus par le sommeil s’écroulèrent sur place. La nuit déjà profonde permit au jeune homme de détacher le corps de son frère ; puis, en manière d’outrage, il rasa la joue droite à tous les gardes, chargea le corps sur ses bêtes et revint chez lui, après avoir ainsi satisfait aux volontés de sa mère.

Le roi s’irrita fort quand il apprit la disparition su cadavre ; mais, décidé à tout faire pour découvrir l’auteur de ses stratagèmes, il prit, dit-on, le parti suivant (que je me refuse à croire pour ma part) : il envoya sa propre fille dans un lieu de débauche, avec ordre d’accueillir indifféremment tous ceux qui se présenteraient et de leur réclamer, avant de se livrer à eux, le récit de l’action la plus ingénieuse qu’ils eussent faite de leur vie ; si l’un d’eux lui racontait l’histoire du voleur, elle devait le saisir et ne pas le laisser s’échapper. La fille fit ce que voulait le père, mais le voleur apprit la raison de sa conduite et résolut de se montrer plus malin que le roi : il coupa près de l’épaule le bras d’un homme qui venait de mourir, le cacha sous son manteau et se rendit auprès de la fille du roi. Quand il fut devant elle, elle lui posa la question qu’elle posait à tous ses visiteurs : il lui répondit que son acte le plus criminel était d’avoir coupé la tête de son frère, le jour où il s’était trouvé pris au piège dans le trésor du roi, et son acte le plus ingénieux, d’avoir enivré les gardes pour détacher du mur le cadavre de son frère. À ces mots la princesse voulu le retenir, mais, dans l’obscurité, le voleur lui tendit le bras du mort dont elle se saisit, croyant tenir le sien ; l’homme le lui laissa dans les mains, gagna la porte et prit la fuite.

Quand le roi connut cette nouvelle aventure, l’audace et l’ingéniosité de l’homme le laissèrent d’abord stupéfait ; enfin, il fit proclamer par toutes ses villes qu’il lui accordait l’impunité et lui promettait de grandes faveurs s’il se présentait devant lui. Confiant en sa parole, le voleur vint le trouver. Rhampsinite l’admira fort et lui donna sa fille en mariage, comme à l’homme le plus habile qui fut,- car les Égyptiens l’emportent sur tout les autres peuples, et celui-là l’emportait sur tout les égyptiens2.

1 : On a vu dans Rhampsinite soit ramsès III, soit Ramsès II. C’est bien Ramsès II qui construisit le portique ouest du temple de Ptah de Memphis, et des fragments des colosses y ont été retrouvés.

2 : un conte populaire Égyptien doit évidemment se trouver à la base du récit d’Hérodote ; des manuscrits égyptiens tardifs contiennent des récits de la même veine.

Pg 223-226

L’Enquête, Livre II, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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La véritable histoire d'Hélène(suite et fin), Enquête, Hérodote

Je demandais alors aux prêtres si ce que l’on raconte en Grèce sur la guerre de Troie est ou non sans fondement. Voici leur réponse, d’après, me dirent-ils, les informations données par Ménélas en personne. Après l’enlèvement d’Hélène, dirent-ils, une immense armée grecque vint en Teucride, pour soutenir la cause de Ménélas. Quand ils eurent débarqué là-bas et installé leur camp, les Grecs envoyèrent à Illion une ambassade dont Ménélas fit lui-même partie1. Les ambassadeurs furent admis dans la place et Ménélas réclama Hélène et les trésors qu’Alexandre lui avait dérobés, ainsi qu’une juste réparation des torts subis. Les Teucriens lui firent la réponse qui fut toujours la leur par la suite aussi, avec ou sans serments : ils n’avaient pas Hélène, non plus que les trésors qu’on leur réclamait ; tout cela était en Égypte, et ils n’avaient pas à répondre, eux, de ce qui était aux mains du roi d’Égypte, Protée. Les grecs crurent qu’ils se moquaient d’eux et assiégèrent alors la cité jusqu’au jour où elle tomba. Mais quand ils l’eurent prise, ils n’en voyaient pas davantage Hélène et entendaient les mêmes déclarations qu’auparavant ; persuadés qu’on leur avait dit vrai, ils envoient Ménélas en personne auprès de Protée2.

 

En Égypte, Ménélas remonta le Nil jusqu’à Memphis et conta au roi les faits tels qu’ils s’étaient passés ; il reçut alors l’hospitalité la plus généreuse et reprit Hélène, qui n’avait souffert aucun mal, et avec elle tous ses trésors. Cependant, après avoir été si bien traité, il agit fort mal envers les Égyptiens : au moment où il s’apprêtait à reprendre la mer, le mauvais temps l’arrêta ; la situation se prolongeant, il eut recours à un sacrifice impie : il s’empara de deux jeunes enfants qui appartenaient à des familles du pays et les égorgea, en victime propitiatoires. Après quoi, sitôt son crime connu, en butte à la haine et aux poursuites des Égyptiens, il dut s’enfuir avec ses vaisseaux vers la Libye. Où alla-t-il ensuite ? Les Égyptiens ne pouvaient l’indiquer. Mais sur le reste de l’histoire, ils affirmaient avoir eu des informations précises et savoir de science certaine ce qui s’était passé chez eux.

 

 

1 : Dans Homère, l’ambassade d’Ulysse et de Ménélas à Troie échoue, parce que Pâris obtient, à force de présent, que les Troyens repoussent leur demande.

 

2 : Le personnage d’Hélène a été diversement interprété au cours des siècles : victime involontaire du destin, ou femme coupable ou innocente calomniée puisqu’elle ne serait jamais allée à Troie : une image crée par les dieux y a pris sa place pour prendre la ville ; c’est le thème de la tragédie d’Euripide, Hélène, mais Hérodote tente d’en rationaliser la légende au moyen d’un curieux malentendu de dix ans entre les Grecs et les Troyens.

 

Pg 220-221

   

L’Enquête, Livre II, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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