Mythologie et misogynie ; Gazalé

En Grèce, les vagues successives d’envahisseurs (achéens, ioniens, doriens), porteurs d’un héritage spirituel nouveau, imposent progressivement leurs valeurs guerrières et leur modèle viriarcal en luttant ardemment contre les déesses du vieux panthéon crétois. Les dieux ouraniens (ou célestes) l’emportent désormais sur les divinités chtoniennes (ou terrestres). C’est ainsi que Zeus, le Dieu du Ciel (le Dyauh des indiens védiques), vole le feu aux déesses et devient le theos suprême d’une Olympe qu’il gouverne en despote orgueilleux et tyrannique, tandis que Poséidon, dieu chtonien, est en régression. Dans de nombreux sanctuaires (Délos, Delphes, Dodone, Claros…), un dieu oraculaire mâle, Apollon, se substitue aux anciennes déesses crétoises Déméter, Gaïa et Rhéa.

Partout, l’ordre apollinien tente de réprimer et de refouler le désordre dionysiaque des monstres matriarcaux : qu’il du combat victorieux d’Apollon contre le dragon femelle Python ou encore de la guerre menée par Zeus contre les Titanides, divinités primordiales pré-olympiennes, c’est toujours la même lutte des fils contre une Grande Déesse démoniaque qui s’exprime dans les récits mythologiques. Car, à l’image de ces terrifiantes figures maternelles, la femme fait peur, elle terrifie, même, surtout quand elle est belle…

Le versant néfaste de la féminité est sans cesse rappelé par Homère qui, dans l’Odyssée, évoque à de nombreuses reprises la séduction maléfique exercée sur Ulysse tantôt encore par les sirènes, tantôt par Circé, la prostituée sacrée qui change les compagnons du roi d’Ithaque en pourceaux, tantôt encore Calypso, la nymphe «aux belles boucles» qui le retient sept ans sur son île. La plus funeste d’entre toutes est la somptueuse Hélène, dont la beauté a entraîné tout un peuple dans l’absurde guerre de Troie racontée dans l’Iliade. Le message est sans ambiguïté : la puissance érotique des femmes est le plus grand des dangers.

Mais c’est surtout à Hésiode que l’on doit la première expression de la misogynie grecque, appelée à une belle et longue postérité. Tandis qu’Homère rendait encore hommage à la fidélité de Pénélope ou se montrait touché par l’émouvante lamentation de Briséis sur le corps de Patrocle1, l’auteur de la Théogonie n’aura pas de mots assez sévère à l’endroit du genos gunaikon , la «race des femmes», à commencer par la première d’entre elles, la maudite Pandore, née de la colère de Zeus contre le Titan Prométhée, le voleur du feu dérobé aux Déesses.

Pour le punir, le dieu du Ciel envoie Pandore sur terre. Parée d’une robe blanche et d’un voile «au mille broderies, merveille pour les yeux», coiffée d’un diadème d’or, la créature « au beau corps aimable de vierge» est comblée de présents par les dieux, d’où son nom qui signifie «tous les dons». Puis elle est remise aux hommes, pour leur plus grand malheur, car «c’est de là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des mortels».

Le mythe est repris dans Les travaux et les jours, où la colère de Zeus s’exprime en ces termes : «Moi, en place du feu, je leur ferai présent d’un mal en qui tous, au fond du cœur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur». Aphrodite est chargée de transmettre à Pandore « le douloureux désir», Hermès de la doter d’un «esprit impudent» et d’un «cœur artificieux». La suite est bien connue : belle comme la nuit, curieuse comme une fouine, la jeune femme brave l’interdit de Zeus, soulève le couvercle de la jarre qu’il lui a offerte pour ses noces et en laisse échapper les tourments, «les peines, la dure fatigue, les maladies douloureuses qui apportent le trépas aux hommes». La guerre, la famine, le vice, la tromperie, la passion, ainsi que tous les autres maux s’abattent sur l’humanité, tandis que l’espérance reste emprisonnée dans la funeste boite.

1 : Voir Robert Flacelière, L’amour en Grèce,Paris, Hachette, 1960

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 72-73

grecque, mythologie

Symbolisme agricole; Le bouclier; Hésiode

À quelque distance de la ville

 

d’autres galopaient sur des chevaux.

 

Les laboureurs

 

brisaient la terre divine.

 

Ils portaient la tunique

 

retroussée. Il y avait

 

un grand champ. Certains coupaient

 

avec des faucilles aiguisées,

 

les tiges courbées sous le poids

 

des épis. On aurait dit vraiment

 

le grain de Déméter.

 

D’autres liaient les gerbes

 

et les disposaient sur l’aire

 

D’autres vendangeaient la vigne,

 

le couteau à la main.

 

D’autres recevaient des vendangeurs

 

et portaient à des paniers

 

des raisins blancs et noirs

 

pris à de long rangs de ceps,

 

alourdis par les feuilles

 

et les vrilles couleur d’argent.

 

D’autres les portaient à des paniers.

 

Près d’eux un rang de ceps,

 

tout en or, admirable travail

 

du sage Héphaïstos.

 

D’autres allaient de l’avant,

 

chacun avec son flûtiste.

 

Tout frémissait de feuilles ;

 

les tuteurs étaient d’argent.

 

Tout pliait sous le poids des grappes

 

déjà presque noires.

 

v 285 à 296

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Poésie violente et guerrière teintée de tristesse sans fond; Le bouclier; Hésiode

(partie de description du bouclier d’Héraclès)

Au dessus,

des hommes se battaient

avec des armes de guerre.

Les uns voulaient

de leur ville et de leurs parents

éloigner le danger. Les autres

rêvaient de tout détruire.

Beaucoup était par terre ;

un plus grand nombre

continuait le combat. Les femmes

sur les solides remparts

de bronze poussaient des cris

aigus, se griffaient les joues,

pareilles à des vivantes :

travail du célèbre Héphaïstos.

Les hommes qui étaient vieux,

que l’âge avait saisis,

s’étaient réunis hors des portes.

Les bras levés,

ils suppliaient les dieux bienheureux,

car ils avaient peur

pour leurs enfants qui se battaient toujours.

Derrière eux

les tueuses noires

faisaient claquer leurs dents blanches,

affreuses, l’œil méchant,

sanglantes, repoussantes.

Elles se battaient autour des morts.

Elles avaient envie

toutes de boire le sang noir.

Celui qu’elles saisissaient,

déjà tombé à terre

ou blessé et s’écroulant,

elles jetaient sur lui leur grandes griffes,

et son âme descendait

vers l’Hadès, le Tartare où l’on gèle.

Enfin, repues de sang

humain, elles jetaient le mort

derrière le dos

et retournaient en toute hâte

dans le tumulte de la mêlée.

Clotho et Lachésis

étaient à leur tête. De taille moindre,

Atropos1 n’était pas

une déesse grande, mais pourtant

c’était les trois les plus respectée

et la plus âgée.

Toutes autour d’un homme,

elles se battaient férocement,

se lançant des regards terribles,

l’œil en furie.

Elles frappaient à coups de poing,

à coups de griffe.

Ténèbre-de-Mort était auprès d’elles,

lugubre et terrifiante,

verdâtre, flétrie,

ratatinée par la faim,

les genoux enflées,

au bout des doigts des ongles immenses.

De son nez coulaient des morves.

De ses joues le sang

dégouttait jusqu’à la terre.

Elle restait là, grimaçante.

Sur ses épaules

une épaisse couche de poussière

était mouillée de larmes.

1:Clotho, Lachésis et Atropos sont généralement appelées « Moires », en Grec Moïraï, ou, par recours à un mot latin, « Parques ». Le texte a l’air de les confondre parmi les Tueuses ou « Kères ».

La Tueuse: plus d’un traducteur calque le Grec et écrit: la Kère; d’autres préfèrent: la Destinée. La perception de ce que nous appelons « Destin » passe par l’image de la mort inattendue, notamment la mort dans un combat. « C’était son jour » dit-on en français

v 238 à 270

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La race de fer; Les travaux et les jours; Hésiode

 Et moi, comme je voudrais

 ne pas être l’un de ces hommes,

les cinquièmes, mais être mort

 plus tôt ou né plus tard.

 C’est maintenant une race de fer ;

 il n’est pas de jour

 où ils s’arrêteront de peiner, de souffrir ;

 il n’est pas de nuit où cesseront

 de les ronger les dures inquiétudes

 que leur enverront les dieux.

 Pour eux aussi pourtant aux maux

 seront mêlés les biens.

 Mais Zeus fera périr à son tour

 cette race d’hommes éphémères.

 À peine nouveau-nés

 ils auront les tempes grises.

 Pas de ressemblance su père aux enfants,

 des enfants au père.

 Pas d’amitié entre l’hôte et son hôte,

 entre compagnon et compagnon.

 Et le frère ne sera pas aimé

 comme il l’était autrefois.

 Ils offenseront leurs parents

 dès qu’ils les verront vieillir.

 Ils les insulteront,

 avec des paroles mauvaises,

 ne sachant pas, malheureux,

 que les dieux voient. Jamais

 aux parents vieillis ils ne rendront

 ce qu’ils leur doivent.

 Justice du poing : chacun ira mettre

 à sac la ville du voisin.

 Pas de respect chez eux pour le serment

 pour ce qui est juste,

 pour ce qui est bon ; les hommes

 préféreront celui qui fait le mal

 et la violence ; leur justice

 sera la justice du poing.

 Aucune pudeur. Le lâche fera du mal

 à plus noble que lui

 à coups de discours tordus,

 accompagnés de serments.

 L’envie sera leur compagne,

 à ces hommes de malheur ;

 elle a des mots hargneux, des regards

 mauvais, elle aime qu’on ait mal.

 C’est alors que vers l’Olympe,

 loin de la terre aux grands chemins,

 cachant sous des voiles blancs

 la beauté de leur corps,

 vers la tribu de ceux qui ne meurent pas

 s’en iront, quittant les hommes,

 Pudeur, Indignation. Ne resteront plus

 que de triste souffrances

 pour les hommes qui meurent ;

 plus de recours contre le mal.

 

V.174-20

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La race des héros; Les travaux et les jours; Hésiode

Mais lorsque la terre

eut aussi caché cette race –

c’en fut la quatrième

que sur la terre, bonne nourrice,

fabriqua Zeus le Kronide,

race noble et juste,

divine race d’hommes héros

que l’on appelle

demi-dieux, dernière race avant nous

sur la terre sans limites.

La guerre méchante

et la bataille affreuse

en ont tué certains sous Thèbes

aux sept portes, terre de Cadmos,

les faisant se battre

pour les moutons d’Oedipe,

en ont conduit d’autres dans des bateaux

sur le grand gouffre de la mer

pour aller à Troie à cause

des beaux cheveux d’Hélène.

C’est là que la mort

fit disparaître les uns ;

les autres, Zeus le Kronide

les installa au bord de la terre,

loin des hommes, leur donnant

un lieu pour vivre.

Ceux-là, le cœur insouciant,

ils ont leur habitation

dans les îles des Bienheureux,

près des tourbillons de l’Océan,

héros regorgeant de biens ;

trois fois par an la terre

leur donne en abondance

des fruits doux comme le miel.

Ils sont loin des Immortels,

et Kronos est leur roi.

Car le père des hommes et des dieux

a défait ses liens.

Il y a honneur et gloire

pour ceux-là qui sont les derniers.

Zeus qui voit loin n’a jamais

placé sur la terre

nonne nourrice une race d’hommes

qui soit aussi connue.

V.156-173

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La race de bronze; Les travaux et les jours; Hésiode

Zeus le père fit une troisième

race d’hommes éphémères,

race de bronze, dissemblable

de la race d’argent,

née de frênes, terrible

et forte, ayant soucis d’Arès,

de ses jeux douloureux, de ses violences

et ils ne mangeaient pas

de pain, mais avaient un cour dur,

un cœur d’adamas.

Mal dégrossis. Grande était

leur force ; des bras terrifiants

jaillissaient de leurs épaules ;

lourds étaient leurs membres.

Ils avaient des armes de bronzes,

le fer noir n’existait pas.

Et ceux-là furent brisés

par leur propres mains ;

ils allèrent dans l’immense,

dans la froide maison d’Hadès,

sans laisser de nom ; la mort,

effroyables comme ils étaient,

les prit, noire, et la claire lumière

du soleil, ils ne la virent plus.

V.143-155

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La race d'argent; Les travaux et les jours; Hésiode

c’est une seconde race,

bien pire, que par après,

race d’argent, fabriquèrent les dieux

qui ont leur maisons dans l’Olympe,

ne ressemblant à la race d’or

ni d’allure ni de pensée.

Car l’enfant pendant cent ans

près de sa mère fidèle

était nourri, petit être

sans malice dans sa maison.

Mais quand il avait grandi,

qu’ils atteignaient la fleur de l’âge,

ils ne vivaient que peu de temps,

ils souffraient des souffrances,

de par leur folie ; car ils ne pouvaient

se garder d’extrêmes

violences entre eux ; et respecter

ceux qui ne meurent pas,

ils ne voulaient, ni servir

les bienheureux sur les saints autels

(c’est la juste coutume

des hommes). Et par après

Zeus le Kronide en colère

les fit disparaître, parce qu’ils

n’honoraient pas les dieux bienheureux

qui possède l’Olympe.

Mais lorsque la terre

eut aussi caché cette race –

on les appelle chez ceux qui meurent

« bienheureux de sous la terre »

second en valeur, mais tout de même

on les honore eux aussi-

….

V.127-142

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La race d'or; Les travaux et les jours; Hésiode

Si tu veux , c’est un autre discours

que pour toi je ferai sonner,

bellement, avec maîtrise ;

toi, range-le dans ta mémoire.

De même lieu naissent les dieux

et les hommes qui meurent.

C’est en premier une race d’or

race d’hommes éphémères

que firent les dieux qui ne meurent pas,

qui ont leur maison dans l’Olympe.

C’était du temps de Kronos,

du temps où il régnait dans le ciel.

Et ils vivaient comme les dieux ;

le cœur insouciant,

sans peine, sans douleurs ;

et la sinistre

vieillesse ne venait pas sur eux ;

bras et jambes toujours forts

ils se tenaient en joie,

les maux étaient loin.

Ils mourraient comme pris

par le sommeil ; tout pour eux était

beau ; la terre, d’elle-même

féconde, leur donnait

du fruit abondant et sans tache ;

de bon cœur, en toute paix,

ils menaient leur vie

au milieu de grand biens,

riches de troupeaux,

chers aux dieux qui ne meurent pas.

Mais lorsque la terre

eut caché cette race –

on les appelle démons purs,

qui vont de par le monde,

qui, nobles, détournent les maux,

qui protègent les hommes qui meurent ;

ils voient les jugements droits

et les méchantes actions ;

vêtus de brumes, ils errent

partout sur la terre ;

ils donnent la richesse ;

tel est leur royal privilège

V.106-126

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La jarre de Pandôra; Les travaux et les jours; Hésiode

Autrefois les tribus des hommes

vivaient sur la terre,

protégés, loin des malheurs

sans travailler durement,

sans souffrir des tristes maladies

qui font que les hommes meurent ;

ceux qui doivent mourir

vieillissent tôt dans le malheur.

Mais la femme, de ses mains

soulevant le couvercle de la jarre,

répandit le mal parmi les hommes,

leur causa des peines cruelles.

Seule Espérance resta

dans sa maison indestructible

à l’intérieur, en deçà des bords

de la jarre, sans s’échapper

dehors ; car d’abord

le couvercle retomba sur la jarre ;

Zeus à l’égide l’avait voulu,

Zeus Maître des Nuages.

Voici que dix mille souffrances

errent parmi les hommes ;

la terre est pleine de malheur,

la mer en est pleine ;

des maladies parmi les hommes,

certaines de jour, d’autres la nuit,

voyagent selon leur caprice,

apportent aux hommes le malheur

sans rien dire, car Zeus

prudent leur a retiré la voix.

Il n’est donc pas possible d’esquiver

ce que Zeus a en vue.

v.90-105

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