Même du prince Marduk, Erra-le-preux,
tu n’as point respecté la gloire :
Tu as dénoué le lien de Dim.kurkurra (Babylone),
Cité du roi des dieux, noeud de la terre.
Après avoir modifié tes apparences divines,
et t’être assimilé à un homme,
Équipé de tes armes, tu t’y es introduit.
Une fois dans Babylone,
Comme un qui veut se rendre maître d’une ville,
Tu y as parlé en agitateur ;
et les babyloniens,
sans plus de chef que les roseaux de la cannaie,
de se rameuter autour de toi :
qui n’avait nulle pratique des armes d’estoc,
tirait son glaive ;
qui n’avait nulle routine des armes de jet,
emplissait son carquois ;
qui n’avait nulle expérience de la lutte,
se livrait au combat ;
qui n’avait nul usage de la course,
s’élançait comme un oiseau !
Les débiles cherchaient à surpasser les vigoureux,
les boiteux à l’emporter sur les véloces.
Contre leur gouverneur, pourvoyeur de leur sanctuaires,
ils se sont mis à débiter de grandes insolences.
Ils ont condamné de leurs mains les portes de Babylone,
Et les voies-d’eau de sa prospérité.
Tels les pillards étrangers, ils ont incendié
les édifices sacrés de Babylone !
Or, c’était toi, leur meneur ; toi qui avais pris leur tête.
L’Imgur-Enlil, contre qui tu appuyais ton dard, criait pitié.
Tu as plongé dans le sang des hommes et des femmes
la niche du dieu Muhrâ, sentinelle de ses portes !
Et ces Babyloniens -eux, les oiseaux et toi, le leurre –
après les avoir attrapés au filet, Erra-le-preux,
tu les a saisis et détruits !
Car, délaissant la ville et sorti hors,
tu as revêtu l’apparence d’un lion
et tu es entré au palais :
dès qu’elles t’ont aperçu, les troupes ont pris les armes,
et le cœur du gouverneur, revanchard contre Babylone,
s’est déchaîné :
il a expédié ses soldats, comme pour spolier un ennemi,
poussant au pire le capitaine de l’armée (et lui disant) :
« Cette ville à laquelle je t’envoie, homme,
n’y respecte nul dieu, n’y redoute personne,
mets-y à mort petits comme grands,
sans épargner un seul bébé, encore à la mamelle !
Après quoi, pille tous les trésors accumulés de Babylone! »
L’armée du roi, rassemblée,
s’est donc introduite en ville,
l’arc enflammé, le glaive dégainé.
Même au personnel exempté,
sous protection sacrée d’Anu et de Dagan,
tu as fait tirer les armes ;
tu as livré leur sang, comme de l’eau, aux égouts de la ville ;
tu leur as ouvert les veines,
pour en faire emporter le contenu au fleuve !
Marduk, le grand seigneur, à ce spectacle,
s’est exclamé : « Malheur! » et son cœur s’est serré ;
Un anathème implacable s’est porté sur sa bouche :
Il a juré de jamais plus boire de l’eau du fleuve,
et, par dégoût de leur sang versé,
de ne jamais réintégrer l’Ésagil !
Ah ! (disait-il), Babylone,
dont j’avais, comme à un palmier, exalté la ramure,
et que le vent a desséchée !
Ah ! Babylone,
que j’avais, comme une pigne, bourré de graines,
sans profiter de ses fruits !
Ah ! Babylone,
que j’avais plantée comme un jardin d’abondance,
sans jouir de son rapport !
Ah ! Babylone,
que j’avais mis au cou d’Anu
comme un sceau d’ambre-jaune !
Comme la tablette-aux-destins! »
Le poème d’Erra, tablette IV, v.1-44
Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.
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