Récompense, Le système technicien, Ellul

L’Homme ne peut vivre et travailler dans une société technicienne que s’il reçoit un certain nombre de satisfactions complémentaires qui lui permettent d’en surmonter les inconvénients. […] la diversité de nourriture, la croissance de consommation d’azotés et de glucose n’est pas une surcharge due à la gourmandise mais une réponse compensatoire aux dépenses nerveuses impliquées par cette vie technicisée.

Jacques Ellul. Le système technicien, Paris, Calman-Lévy, 1977, pg 74

La mysoginie et l’homophobie; Gazalé

Les liens entre misogynie et homophobie sont étroits depuis toujours ; plus une société déconsidère les femmes, plus elle traque les homosexuels. Leur existence inquiète, car elle remet en question les fondements même du système viriarcal. Elle en constitue pourtant la pierre angulaire, car être un homme, c’est d’abord et avant tout ne pas être un homosexuel, ni même effémine. Avant d’être définie positivement, la virilité l’est négativement, par ce dont il faut à tout prix se démarquer. Mais faudrait-il le faire avec autant de violence et de fanatisme si la frontière entre homo- et hétérosexualité n’était pas aussi poreuse ? La virilité n’est-elle pas travaillée sans cesse par l’éffémination et par l’homoérotisme comme par des rêveries, des regrets ou des fantasmes secrètement refoulés ?

La question en porte pas ici sur l’homosexualité en elle-même, ni sur l’immense débat sur sa genèse individuelle (génétique ou psychologique?), sujets immenses qui nous emporteraient trop loin, mais sur les discours homophobe, en tant qu’il constitue l’une des expressions les plus constantes et les plus douloureuses de l’oppression de l’homme par l’homme, tout en révélant l’immense faillibilité du mythe viril. Diriger sa hargne contre l’homosexuel, n’est-ce pas, pour certains hommes, une manière de se défendre psychiquement contre l’ambiguïté de leurs propres pulsions ? Extérioriser un conflit intérieur est en effet le meilleur moyen de le rendre vivable.

L’obstination à désigner comme «contre nature» des penchants que ladite nature a aussi généreusement distribués sous toutes les latitudes et à toutes les époques signale la volonté de maintenir la préférence homosexuelle verrouillée dans la monstruosité. L’Ancien Testament en fait une «abomination», une offense impardonnable au dessin divin, une négation de l’alliance entre Dieu et les hommes, bref une «idolâtrie»:«Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont commis tous deux une action abominable. Ils seront punis de mort : leur sang doit retomber sur eux», dit sévèrement le Lévitique. Aussi est-ce parmi les «idolâtres» que Paul rangera, dans l’Épître aux Romains, ceux qui se livrent à cette «passion infâme», jugée, comme chez Platon, «contre nature».

À l’époque, l’argument du «contre nature» pouvait passer pour intellectuellement recevable, l’anthropologie n’ayant pas encore révélé son omniprésence chez les humains, ni la biologie sa fréquence chez les animaux. Mais depuis que l’on sait que l’on sait que l’homosexualité apparaît invariablement dans toutes les cultures1 et chez plus de 400 espèces animales2, notamment des mammifères proches de l’homme, comme le bonobo, le macaque, ou encore le lion, l’éléphant de mer, le dauphin, le canard col-vert, le goéland femelle et certaines lézardes3, le doute n’est plus permis4. Comme l’écrit l’anthropologue canadienne Heler Fischer, «en fait, l’homosexualité animale est si courante – et elle saute aux yeux dans une telle variété d’espèces et de circonstances – qu’en comparaison, l’homosexualité humaine étonne plus par sa rareté que par sa fréquence5».

1 : D’après Frédérick Whitam, qui a travaillé dans les communautés homosexuelles de pays aussi différents que les États-Unis, le Guatémala, le Brésil et les Philippines, «Culturally Invariable properties of male homosexuality : tentative conclusions from cross-cultural research», Archives of sexual behavior, vor. 12, n°3, 1983, cité par Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine.

2 : John Sparks, La vie amoureuse et érotique des animaux, Paris, Bedford, 1978.

3 : Les Cnemidophorus ont même éliminé en chemin les mâles au cours de l’évolution.

4 : Dans la nature, il existe de nombreux schémas différents relatifis à la conjugalité, au rapport à la progéniture, au territoire et à la nourriture.

5 : Helen Fischer, Histoires naturelles de l’amour, trad. De l’anglais par Évelyne Gasarian, Paris, Robert Laffont, 1994

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 285-294

Ne s'adresser qu'à l'affectivité des masses, qu'à leurs automatismes culturels, c'est rabaisser les individus ; Laborit

Il faut avouer que c’est vraiment mépriser ces masses que de les croire incapables de progrès conceptuels et définitivement automatisées par un langage stéréotypé, des slogans éculés, motivés irrémédiablement par leur seul intérêt digestif, l’appétit de consommation. Ne s’adresser qu’à l’affectivité des masses, c’est rabaisser les individus qui les constituent au rang des espèces qui nous ont précédés et se « servir » d’eux pour asseoir un pouvoir et des privilèges nouveaux.

Certes, il faut mobiliser les masses, mais il faut les mobiliser contre toute structure hiérarchique de dominance, toute structure fermée, figée, sclérosée, analytique et non synthétique, contre celles existantes, mais aussi contre celles qui pourraient survenir. Et pour mobiliser, pour les motiver, il est préférable de s’adresser à leur raison qu’à leur pulsions ou leurs automatismes culturels, ou du moins il faut les motiver raisonnablement. Il faut que leur pulsions fondamentales les amènent à raisonner les mécanismes d’établissement et le contenu de leurs automatismes.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg292

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Occultation par les sociétés actuelle de ce moteur qu'est l'angoisse existentialiste ; Laborit

Alors que dans l’organisme une des motivations fondamentales est l’angoisse existentielle, le déficit informationnel à l’égard du devenir, les structures sociales contemporaines font tout ce qui est en leur pouvoir pour occulter cette angoisse au lieu d’en profiter pour favoriser l’expression de l’imaginaire ou au contraire favoriser la diffusion d’informations tendancieuses et angoissantes pour en tirer profit. Le processus de décision n’apparaît tel que parce qu’il est essentiellement automatisé et que ceux qui se croient les dépositaires de cette responsabilité sont inconscients du fait qu’ils n’y répondent qu’au coup par coup en faisant appel strictement à leurs pulsions primitives et à leurs automatismes socioculturels, à leur apprentissage technique. Aucune invention là-dessus, on reproduit ce qui a déjà marché. Pas de création, mais ajustements réciproques dans un système qui tente de se pérenniser. Or la création, l’imagination, ne sont possible qu’à partir d’une certaine expérience et celle-ci n’est pas acquise par un élément d’un ensemble, mais par l’ensemble des éléments. C’est donc à l’ensemble de l’organisme social que revient le devoir d’imaginer. Pour cela il est nécessaire que l’information circulante concernant la structure interne et ses rapports avec l’environnement circule, on qu’on ne l’enferme pas dans des automatismes conceptuels qui ne sont favorables qu’au conservatisme de la culture hiérarchique de la dominance.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg284-285

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Le moteur de l'angoisse existentialiste ; Laborit

Alors que dans l’organisme une des motivations fondamentales est l’angoisse existentielle, le déficit informationnel à l’égard du devenir, les structures sociales contemporaines font tout ce qui est en leur pouvoir pour occulter cette angoisse au lieu d’en profiter pour favoriser l’expression de l’imaginaire ou au contraire favoriser la diffusion d’informations tendancieuses et angoissantes pour en tirer profit. Le processus de décision n’apparaît tel que parce qu’il est essentiellement automatisé et que ceux qui se croient les dépositaires de cette responsabilité sont inconscients du fait qu’ils n’y répondent qu’au coup par coup en faisant appel strictement à leurs pulsions primitives et à leurs automatismes socioculturels, à leur apprentissage technique. Aucune invention là-dessus, on reproduit ce qui a déjà marché. Pas de création, mais ajustements réciproques dans un système qui tente de se pérenniser. Or la création, l’imagination, ne sont possible qu’à partir d’une certaine expérience et celle-ci n’est pas acquise par un élément d’un ensemble, mais par l’ensemble des éléments. C’est donc à l’ensemble de l’organisme social que revient le devoir d’imaginer. Pour cela il est nécessaire que l’information circulante concernant la structure interne et ses rapports avec l’environnement circule, on qu’on ne l’enferme pas dans des automatismes conceptuels qui ne sont favorables qu’au conservatisme de la culture hiérarchique de la dominance. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg284-285]]>